Prospective

Prospective : l’art d’inventer l’avenir pour mieux décider aujourd’hui. Entretien avec Eric Seulliet et Christophe Pouilly. La Fabrique du Futur


Jacqueline Sala
Mardi 25 Novembre 2025


Dans un environnement marqué par des ruptures multiples, la prospective n’est plus une option mais une nécessité. Elle permet aux entreprises, institutions et territoires de développer une vision partagée, d’anticiper les transitions et de mobiliser l’intelligence collective pour construire des futurs durables et désirables.



Vice-Président exécutif

Les ruptures technologiques, géopolitiques, économiques et climatiques que nous traversons font de la prospective une compétence vitale. Bien au-delà de l’élaboration de scénarios, elle devient un outil stratégique d’anticipation et de mobilisation collective. Avec son approche fondée sur la co‑création et l’intelligence collective, La Fabrique du Futur entend transformer les organisations en véritables acteurs de leur avenir, capables d’imaginer et de façonner des futurs durables, désirables et disruptifs.
Pour comprendre comment la prospective s’impose aujourd’hui comme un outil stratégique face aux ruptures en cours, nous avons rencontré Eric Seullietprésident-fondateur de La Fabrique du Futur,  et Christophe Pouilly, Vice-Président exécutif . Leur regard éclaire les transformations qui bousculent dirigeants, entreprises et institutions. Mais aussi qui fixent de nouveaux horizons !

Dans le contexte que nous connaissons, en quoi la Prospective est-elle devenue un outil d’aide à la décision indispensable pour les dirigeants et les stratèges ?

Les entreprises évoluent dans un monde qui change de façon accélérée.
Les ruptures sont partout : dans le domaine technologique bien sûr avec notamment le déferlement de l’IA, mais aussi géopolitique, économique (nouveaux business models, concurrence exacerbée), sociologique (nouvelles attentes des collaborateurs et consommateurs), environnemental… Dans un tel contexte les dirigeants doivent s’efforcer de lever le nez du guidon en projetant leur entreprise dans un horizon de moyen / long terme et en la pilotant au plus près des virages stratégiques indispensables.
Aujourd’hui, faire de la prospective ne se résume plus à se contenter d’élaborer des scénarios pour l’avenir mais demande de partager une vision et de mettre en œuvre une stratégie réellement proactive d’anticipation et d’entraînement collectif[[1]] . Ce n’est plus un luxe : c’est une compétence clé. Celle-ci a d’ailleurs été reconnue par l’UNESCO au travers de son initiative de littératie des futurs. Et ce qui est vital pour les entreprises l’est bien sûr tout autant – sinon plus – pour ceux qui ont des responsabilités publiques et doivent agir pour le bien commun.
 

[[1]] Faire face collectivement aux défis du futur est d’ailleurs le thème de l’événement que nous organisons le 8 décembre prochain conjointement avec le Réseau Intelligence de la Complexité

En quoi l’approche de La Fabrique du Futur se distingue-t-elle des démarches prospectives plus classiques ?

Notre ADN repose sur la co-création, la mobilisation et l’intelligence collective. Ainsi, dès notre fondation nous avons initié une démarche pour être labellisés living lab européen.

Comme notre nom l’induit nous avons une conviction ancrée : le futur se fabrique au jour le jour. Notre approche est constructiviste, volontariste et optimiste. Nous voulons aussi créer de l’impact positif et concret. En résumé, nous cherchons à imaginer et faire advenir des futurs que nous qualifions de 4D :
  • Discernables, pour aider à comprendre la nature et impacts des disruptions en cours
  • Durables, pour être viables notamment en intégrant les exigences environnementales
  • Désirables, pour donner envie de se projeter dans des futurs mettant au cœur l’humain et une reconnexion au vivant
  • Disruptif, pour inventer de nouveaux modèles
Nos évènements, nos analyses, nos formations et nos ateliers de projection vont dans ce sens.
 

Quels sont, selon vous, les signaux faibles que les dirigeants sous-estiment encore ?

Plusieurs signaux, faut-il encore les qualifier de faibles, sont encore trop peu regardés :
 
  • De nouvelles valeurs. On les constate dans les différentes strates de la société et notamment parmi les jeunes générations. Ces évolutions se traduisent par de nouvelles attentes, par des changements de comportement, de nouveaux modes de vie, des relations au travail renouvelées. 
 
  • L’arrivée de l’IA Générale. Chat GTP et l’IA dans son mode LLM, ne sont que le début d’une révolution copernicienne. Combien de dirigeants connaissent les travaux de Daron Acemoğlu,  Anton Korinek ou Axelle Arquie ? C’est un tsunami qui s’annonce dans un délai de 5 ans ou maximum 10 ans.
 
  • L’atteinte de points de bascule climatique. Les rapports du GIEC, les COP, certes on s’y intéresse mais nous pensons que beaucoup de structures n’ont pas encore bien saisi que nous sommes déjà entrés dans une ère de ‘Traumatismes climatiques’ qui, quelles que soient les mesures prises, vont avoir des conséquences lourdes à court terme.
 
  • L’émergence de nouveaux modèles Nouvelles chaînes de valeurs, nouvelle organisation du travail, nouveaux modèles économiques, sociétales et d’éducation… il faut se préparer aujourd’hui aux modèles de demain.

Comment les ateliers comme “Fresque du Futur”, “Futurs Chocs” ou “Futurs Récits” ou « Design-SciFi » transforment-ils concrètement les participants ?

Nous faisons vivre des scénarios, projections, des bifurcations, des tensions… mais toujours dans une logique d’ « empowerment ». L’idée est de rendre les participants acteurs de leur futur en leur donnant les moyens de comprendre ce qui se joue et les ressources pour imaginer, se projeter, décider collectivement des choix qui s’ouvrent à eux.

Quels types d’organisations ou de secteurs font aujourd’hui le plus appel à la prospective, et pourquoi ?

Nous intervenons dans trois grands types d’écosystèmes :
  1. Les organisations publiques ou parapubliques (collectivités, agences, opérateurs nationaux) qui doivent préparer des décisions à long terme, parfois intergénérationnelles.
  2. Les entreprises privées confrontées à la refonte de leur business model ou à la montée des nouvelles attentes sociétales.
  3. Les écoles et universités qui veulent former des étudiants capables de penser le futur — pas seulement de le subir.
Ce qui les rassemble : la nécessité de prendre conscience des mutations en cours, de remettre à jour leurs représentations du futur et de développer des capacités nouvelles d’anticipation chez leurs équipes ou leurs étudiants.
 

Pourquoi avoir développé un pôle formation ?

La formation est une composante forte de notre approche. Se former à la prospective, à l’innovation ou aux grandes transitions, c’est se donner les moyens de comprendre et d’agir dans un environnement où l’on se sent perdu.
Conscient de cette responsabilité, nous travaillons d’ailleurs au côté de l’EDC, de l’ISC et de l’ESIEE-IT à un projet de Chaire UNESCO sur le thème de la prospective dédiée aux Territoires.  
 

En quoi consiste le projet HILL que vous avez lancé ?

HILL (Hybrid Intelligence Living Lab) est un projet ambitieux visant à créer un jumeau numérique pour amplifier l’intelligence collective grâce à l’IA. HILL est un outil puissant au service de la créativité, de l’innovation et de la prospective.

Vous lancez le Grand Prix du Futur : pourquoi ?

Pour récompenser des récits de fiction, des essais ou des productions audio/vidéo qui aident à la ‘fabrication’ des fameux futurs 4D évoqués plus haut. Nous remettrons ces prix le 18 décembre prochain au club de l’Etoile à Paris.  On peut encore s’inscrire pour y participer. 

Si vous deviez donner un conseil aux dirigeants pour se préparer à 2030, quel serait-il ?

Nous en donnerions deux :
  • Ne cherchez pas à deviner l’avenir : apprenez à l’inventer. Le futur n’est pas seulement une temporalité, c’est une compétence à acquérir. Les dirigeants doivent savoir que la prospective est là pour éclairer et pour libérer les capacités de projection d’une organisation et de ses équipes.
     
  • Mobilisez ! En interne partagez avec vos collaborateurs une vision d’avenir mobilisatrice ; investissez-vous auprès de votre écosystème (clients, partenaires, société civile) pour créer avec eux un impact durable.

Merci Eric Seulliet et Christophe Pouilly d'avoir répondu à nos questions et de nous ouvrir les portes du Futur !


A propos d'Eric Seulliet

Eric Seulliet est président-fondateur de La Fabrique du Futur, think tank et living lab européen dédié à la prospective et à l’innovation. Diplômé de HEC et de l’Institut d’Urbanisme de Paris, il s’est spécialisé dans les démarches de co‑création et d’intelligence collective. Auteur et conférencier, il milite pour une approche constructiviste et optimiste du futur, en aidant entreprises, institutions et territoires à imaginer et façonner des modèles durables et désirables.

A propos de Christophe Pouilly

Christophe Pouilly est vice‑président exécutif de La Fabrique du Futur & Co, structure dédiée à la prospective et à l’innovation. Consultant en stratégie depuis plus de vingt‑cinq ans, il accompagne entreprises et institutions dans leurs transformations et la mise en œuvre de nouveaux modèles. Co‑fondateur de La Fabrique du Futur & Co, il milite pour une approche collective et proactive de l’anticipation.