Les différents niveaux du savoir dirigeant
Savoir, c’est d’abord pouvoir affirmer l’existence de ce que d’autres préfèrent ignorer. Mais ce geste premier ne suffit pas.
Encore faut-il organiser cette appréhension dans un système rationnel, relier les faits aux concepts, les signaux faibles aux structures, les intentions aux effets.
C’est ici que se joue le deuxième niveau du savoir : celui de l’intelligence analytique, qui discrimine, ordonne, hiérarchise.
Enfin, le dirigeant doit porter en lui une mémoire active — un ensemble de concepts, d’idées, de représentations, d’images et d’affects — qui lui permet de construire une synthèse intérieure. C’est cette synthèse, soumise à l’épreuve de la réalité, qui fonde sa capacité à décider, à arbitrer, à tenir.

Le savoir ne repose pas sur l’expertise
Or, un dirigeant ne sait pas tout. Il ne peut ni tout lire, ni tout maîtriser.
Mais il sait reconnaître ce qui est décisif. Et pour cela, il lui faut s’entourer — non pour déléguer sa pensée, mais pour rendre possible la condensation de l’essentiel.
Les conseillers, analystes, experts, jouent ici un rôle central : ils produisent les synthèses qui signalent que les dimensions historiques, juridiques, sociales, sociétales, ethnologiques ont bien été comprises, sans qu’il soit nécessaire de les exposer dans leur détail.
Un savoir dirigeant bien tenu se reconnaît à sa densité silencieuse : il laisse deviner qu’il ne se contente pas d’impressions, mais qu’il incorpore l'épaisseur du réel.
Le savoir dirigeant n’est pas seulement stratégique.
Sociologiquement, il positionne le dirigeant dans un régime de légitimité cognitive : il est autorisé à trancher parce qu’il montre qu’il comprend. Psychologiquement, il rassure les équipes, les partenaires, les actionnaires : la décision repose sur autre chose que l’intuition ou la routine.
Philosophiquement, il renoue avec une exigence ancienne : celle de gouverner avec conscience. Et dans une lecture cindynique, ce savoir devient facteur de stabilité : il permet à l’organisme, au sens systémique, d’intégrer les interactions avec son milieu, son contexte et son environnement, en réduisant les zones d’incompréhension ou de danger invisible.
Le savoir dirigeant n’est pas figé
Le savoir mort est celui qui empêche de voir ce qui vient, au nom de ce qu’on croit savoir déjà.
Le dirigeant doit donc entretenir un rapport dynamique au savoir : toujours en reconfiguration, jamais en clôture.
Cela implique une certaine forme de doute actif, un goût pour la remise en perspective, un attachement au sens plutôt qu’à la simple accumulation de contenus.
Le savoir est un effort permanent
Il s’agit de redire que, pour un dirigeant, le savoir n’est ni stock, ni statut.
Il est un effort permanent pour comprendre, et faire comprendre, ce qui rend l’action possible et responsable.
Un dirigeant qui sait, c’est quelqu’un qui assume de penser — non pour lui-même, mais pour tenir ensemble ce qui, sans cela, risquerait de se disloquer.
Pour aller plus loin
A propos de l'auteur
Le Dr Jan-Cedric Hansen au-delà de son champ de compétence dans le décryptage des enjeux du pilotage stratégique et de management des crises (auteur ou coauteur de Risques majeurs, incertitudes et décisions - Approche pluridisciplinaire et multisectorielle (2016) https://www.decitre.fr/livres/risques-majeurs-incertitudes-et-decisions-9782822404303.html?srsltid=AfmBOopzTkydhS0Jv0qJbUQRdNWh79MAk_QASmfUpiDzHA9cJTNF9j7G
• Manuel De Médecine De Catastrophe (2017) https://www.vg-librairies.fr/specialites-medicales/5692-manuel-de-medecine-de-catastrophe.html
• Innovations & management des structures de santé en France (2021) https://www.leh.fr/edition/p/innovations-management-des-structures-de-sante-en-france-9782848748962
• Piloter et décider en SSE - Décideur Santé (2024) https://www.leh.fr/edition/p/piloter-et-decider-en-sse-9782386120244.
Il anime, chaque année, un séminaire d’une semaine à l’université de Szeged sur les impacts des questions sanitaires sur les relations internationales Europe-Afrique.
Translation in english
In the upper echelons of decision-making, where each word carries weight, every choice leaves its mark, and silence itself exerts influence, the nature of knowledge undergoes a transformation. It is no longer about accumulating facts, but about assembling them into an operational intelligence. For a leader, knowledge is neither a luxury nor an ornament — it is a structuring force, shaped by purpose and shaping in turn. What a leader knows — or signals that they know — directly affects the organisation’s ability to position itself, to evolve, and to endure.
To know, first and foremost, is to acknowledge the existence of that which others would rather ignore. But such recognition alone is not enough.
This initial grasp must be structured within a rational system — linking facts to concepts, weak signals to underlying patterns, intentions to outcomes.
It is here that the second dimension of knowledge emerges: analytical intelligence — the ability to differentiate, organise, prioritise.
Finally, the leader must carry within themselves an active memory — a constellation of concepts, representations, intuitions, and affects — from which they can draw an inner synthesis. It is this synthesis, tested by reality, that anchors their capacity to decide, to arbitrate, and to hold the line.
But a leader does not — and cannot — know everything. They cannot read it all, nor master every detail.
What they must be able to do is recognise what is decisive. And to do so, they must be surrounded — not to outsource their thinking, but to enable the distillation of what truly matters.
Advisers, analysts, and experts play a central role here: they produce syntheses that demonstrate historical, legal, social, and cultural dimensions have been understood — without requiring full exposition.
Well-formed leadership knowledge is recognisable by its silent density. It suggests not impressionistic thinking, but an incorporation of the full weight of reality.
Sociologically, it positions the leader within a regime of cognitive legitimacy: they are authorised to decide because they demonstrate understanding. Psychologically, it offers reassurance — to teams, partners, and stakeholders — that decisions rest on more than instinct or habit.
Philosophically, it revives an enduring principle: that to govern is to do so with awareness. And from a cindynic perspective, such knowledge becomes a stabilising factor: it enables the organisation — in the systemic sense — to integrate its interactions with context, environment, and uncertainty, reducing zones of misunderstanding and latent threat.
Leadership Knowledge Is Not Fixed
Dead knowledge is that which prevents one from seeing what is emerging, in the name of what is already presumed to be known.
A leader must therefore sustain a dynamic relationship with knowledge — always in motion, never sealed off.
This requires a particular form of active doubt, a taste for reframing, and an attachment to meaning rather than to the mere accumulation of content.
It is a reminder that, for a leader, knowledge is neither a reserve nor a rank.
It is a constant effort to understand — and to make understandable — what renders action both possible and responsible.
A leader who knows is someone who accepts the burden of thought — not for themselves alone, but to hold together what might otherwise fall apart.