La mort diffusée à grande échelle n’a rien de nouveau.
Depuis les premiers reportages de guerre, les catastrophes retransmises en direct ou les exécutions filmées par des groupes terroristes à des fins de propagande, le monde est familier de la mort donnée à voir.
Ces images ont progressivement été encadrées, contextualisées, régulées par les médias et les institutions.
L’événement traumatique, même en direct, s’inscrivait toujours dans une logique politique, militaire ou journalistique. *
La nouveauté ne réside donc pas dans la visibilité de la mort. Ce qui surgit aujourd’hui est d’une autre nature : le paradigme du snuff movie, longtemps resté ultraconfidentiel, s’invite désormais brutalement dans l’espace numérique grand public.
* Valeurs actuelles
Depuis les premiers reportages de guerre, les catastrophes retransmises en direct ou les exécutions filmées par des groupes terroristes à des fins de propagande, le monde est familier de la mort donnée à voir.
Ces images ont progressivement été encadrées, contextualisées, régulées par les médias et les institutions.
L’événement traumatique, même en direct, s’inscrivait toujours dans une logique politique, militaire ou journalistique. *
La nouveauté ne réside donc pas dans la visibilité de la mort. Ce qui surgit aujourd’hui est d’une autre nature : le paradigme du snuff movie, longtemps resté ultraconfidentiel, s’invite désormais brutalement dans l’espace numérique grand public.
* Valeurs actuelles
Le cas du streamer français mort en direct sur la plateforme Kick illustre cette bascule.

Après dix jours de privations et d’ingestions toxiques, son agonie a été suivie, commentée et encouragée en ligne.
Nous ne sommes plus dans l’instant tragique mais dans la temporalité d’un supplice. Et surtout, la logique n’est plus celle de l’information ou de l’intimidation : la souffrance devient spectacle interactif, marchandisé par le flux, les dons et les abonnements.
La mort n’est plus un événement, mais une performance produite pour l’audience.
Les philosophes avaient anticipé certains des ressorts que nous voyons à l’œuvre.
Emmanuel Levinas rappelait que le visage d’autrui nous engage à une responsabilité infinie. Ici, ce visage est nié, réduit à une ressource émotionnelle pour capter des vues.
Hannah Arendt, en analysant la banalisation du mal, montrait combien l’inhumain devient plus redoutable lorsqu’il s’inscrit dans la normalité : dix jours d’agonie suivis comme un feuilleton en donnent une illustration extrême.
Michel Foucault avait décrit la mise en scène des supplices comme rituel politique de souveraineté ; elle ressurgit aujourd’hui dans le numérique, non plus au service du pouvoir, mais de l’économie de l’attention.
Les sociologues offrent également des clés.
Zygmunt Bauman parlait de « modernité liquide », où les repères collectifs se dissolvent.
Dans ce flux, tout peut devenir contenu, y compris la destruction d’un être humain.
Pierre Bourdieu soulignait que la logique d’audience structure les champs médiatiques : elle se déploie désormais dans les plateformes, où chaque clic se convertit en valeur marchande.
Jean Baudrillard décrivait la confusion entre réel et simulacre : le paradoxe ultime est que la mort filmée en direct peut sembler plus réelle que la personne qui meurt.
La psychologie, elle, met en lumière des mécanismes individuels et collectifs.
Freud avait montré combien la répétition d’une scène traumatique entretient fascination et sidération. Ici, le supplice devient série, absorbant le spectateur dans un récit destructif.
Stanley Milgram révélait l’obéissance à un cadre autorisant la souffrance : la plateforme joue ce rôle, légitimant ce qui est en train de se passer.
Albert Bandura avait souligné l’effet d’imitation : voir un supplice suivi massivement augmente le risque de reproduction.
Gustave Le Bon, dans sa Psychologie des foules, montrait que l’individu immergé dans une collectivité émotionnelle perd sa distance critique ; les réseaux sociaux fonctionnent précisément comme des foules numériques, où sidération et fascination se renforcent.
C’est désormais une question de santé publique : l’exposition massive à de tels contenus fragilise les psychismes, banalise la violence et installe une contamination émotionnelle diffuse, lente et insidieuse.
L’approche cindynique permet de mesurer la gravité systémique de cette rupture.
Tant que le snuff restait clandestin, le danger demeurait circonscrit.
Aujourd’hui, le cadre est endommagé. Structurellement, les plateformes ne savent pas stopper en temps réel la retransmission d’un acte de mise à mort.
Au niveau organisationnel, elles subordonnent la gestion du risque à la logique de production et se réfugient derrière la dilution des responsabilités.
Au niveau du fonctionnement, elles révèlent des lacunes d’anticipation et de formation, des incohérences dans l’application des règles, des dégénérescences dans la qualité des arbitrages.
Au niveau de la communication, la viralité interdit tout confinement et accroît le risque de dissonances.
Nous ne sommes plus dans l’instant tragique mais dans la temporalité d’un supplice. Et surtout, la logique n’est plus celle de l’information ou de l’intimidation : la souffrance devient spectacle interactif, marchandisé par le flux, les dons et les abonnements.
La mort n’est plus un événement, mais une performance produite pour l’audience.
Les philosophes avaient anticipé certains des ressorts que nous voyons à l’œuvre.
Emmanuel Levinas rappelait que le visage d’autrui nous engage à une responsabilité infinie. Ici, ce visage est nié, réduit à une ressource émotionnelle pour capter des vues.
Hannah Arendt, en analysant la banalisation du mal, montrait combien l’inhumain devient plus redoutable lorsqu’il s’inscrit dans la normalité : dix jours d’agonie suivis comme un feuilleton en donnent une illustration extrême.
Michel Foucault avait décrit la mise en scène des supplices comme rituel politique de souveraineté ; elle ressurgit aujourd’hui dans le numérique, non plus au service du pouvoir, mais de l’économie de l’attention.
Les sociologues offrent également des clés.
Zygmunt Bauman parlait de « modernité liquide », où les repères collectifs se dissolvent.
Dans ce flux, tout peut devenir contenu, y compris la destruction d’un être humain.
Pierre Bourdieu soulignait que la logique d’audience structure les champs médiatiques : elle se déploie désormais dans les plateformes, où chaque clic se convertit en valeur marchande.
Jean Baudrillard décrivait la confusion entre réel et simulacre : le paradoxe ultime est que la mort filmée en direct peut sembler plus réelle que la personne qui meurt.
La psychologie, elle, met en lumière des mécanismes individuels et collectifs.
Freud avait montré combien la répétition d’une scène traumatique entretient fascination et sidération. Ici, le supplice devient série, absorbant le spectateur dans un récit destructif.
Stanley Milgram révélait l’obéissance à un cadre autorisant la souffrance : la plateforme joue ce rôle, légitimant ce qui est en train de se passer.
Albert Bandura avait souligné l’effet d’imitation : voir un supplice suivi massivement augmente le risque de reproduction.
Gustave Le Bon, dans sa Psychologie des foules, montrait que l’individu immergé dans une collectivité émotionnelle perd sa distance critique ; les réseaux sociaux fonctionnent précisément comme des foules numériques, où sidération et fascination se renforcent.
C’est désormais une question de santé publique : l’exposition massive à de tels contenus fragilise les psychismes, banalise la violence et installe une contamination émotionnelle diffuse, lente et insidieuse.
L’approche cindynique permet de mesurer la gravité systémique de cette rupture.
Tant que le snuff restait clandestin, le danger demeurait circonscrit.
Aujourd’hui, le cadre est endommagé. Structurellement, les plateformes ne savent pas stopper en temps réel la retransmission d’un acte de mise à mort.
Au niveau organisationnel, elles subordonnent la gestion du risque à la logique de production et se réfugient derrière la dilution des responsabilités.
Au niveau du fonctionnement, elles révèlent des lacunes d’anticipation et de formation, des incohérences dans l’application des règles, des dégénérescences dans la qualité des arbitrages.
Au niveau de la communication, la viralité interdit tout confinement et accroît le risque de dissonances.
Une vraie question
S’agit-il d’une crise réversible, pouvant conduire à restaurer le cadre « ad integrum », ou sommes-nous déjà dans la catastrophe, où la distinction entre espace de vie et espace de mort s’effondre ?
La rupture, en définitive, ne tient pas à la mort diffusée en direct — déjà connue et encadrée — mais à l’irruption du snuff movie dans la sphère publique, marchandisé, interactif, prolongé et consommé comme spectacle.
Et cette différence engage un constat radical : il n’y a pas de catharsis possible dans le snuff.
Là où la tragédie, depuis Aristote, permettait de sublimer l’horreur par la médiation esthétique, le snuff prive de toute médiation.
Il ne purifie rien, ne dépasse rien, n’élabore rien. Il enferme le spectateur dans la sidération, la fascination ou la banalisation.
C’est une impasse anthropologique, et désormais un enjeu de santé publique majeur.
Refuser que l’écran devienne le théâtre d’une barbarie participative sans horizon d’élaboration est la condition pour préserver une frontière entre le vivre ensemble et sa négation.
La rupture, en définitive, ne tient pas à la mort diffusée en direct — déjà connue et encadrée — mais à l’irruption du snuff movie dans la sphère publique, marchandisé, interactif, prolongé et consommé comme spectacle.
Et cette différence engage un constat radical : il n’y a pas de catharsis possible dans le snuff.
Là où la tragédie, depuis Aristote, permettait de sublimer l’horreur par la médiation esthétique, le snuff prive de toute médiation.
Il ne purifie rien, ne dépasse rien, n’élabore rien. Il enferme le spectateur dans la sidération, la fascination ou la banalisation.
C’est une impasse anthropologique, et désormais un enjeu de santé publique majeur.
Refuser que l’écran devienne le théâtre d’une barbarie participative sans horizon d’élaboration est la condition pour préserver une frontière entre le vivre ensemble et sa négation.
A propos de l'auteur
Dr Jan-Cédric Hansen
Praticien hospitalier, expert en pilotage stratégique de crise, vice-président de GloHSA et de WADEM Europe, Administrateur de StratAdviser Ltd - http://www.stratadviser.com/