Santé

Quel autre regard peut-on porter sur le Handicap ? Stéphanie Heddebaut

Enjeux stratégiques pour les organisations : vers une intelligence inclusive


Jacqueline Sala
Mercredi 12 Novembre 2025


Dans un contexte actuel valorisant l'inclusion et la résilience des organisations, cet article explore une vision alternative du handicap : non plus comme une déficience individuelle, mais comme une interaction situationnelle avec l'environnement. En s'appuyant sur l'évolution historique, les cadres légaux et des approches innovantes, il invite à repenser les politiques d'entreprise pour transformer les vulnérabilités en atouts compétitifs, favorisant une société "capacitaire" accessible à tous.



Quel autre regard peut-on porter sur le Handicap ? Stéphanie Heddebaut

L'évolution historique du concept de handicap : de l'exclusion à l'égalité des chances

Dans l’évolution des représentations sur le « Handicap » considérons l’approche descriptive (plutôt que normative)

La notion de « Handicap » naît au milieu du XXème siècle. Auparavant la sémantique était différente : on évoquait les infirmes, les difformes, les paralytiques, les débiles, et autres vocables. Cachés des autres ou montrés pour conjurer le sort divin, ils sont exclus de la condition de l’homme.

La notion de Handicap naît donc dans le domaine sportif et notamment au cours de courses hippiques. Elle renvoie vers l’idée d’une égalité des chances entre tous les participants.

Le traitement des « infirmes » est institué en France suite au rapport de François BLOCH-LAINE, en 1967 intitulé "Étude du problème général de l’inadaptation des personnes handicapées", qui ouvre la voie au texte d’orientation de la loi de 1975. Cette Loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées statue sur l’importance de la prévention et du dépistage des handicaps, l’obligation éducative pour les enfants et adolescents handicapés, l’accès des personnes handicapées aux institutions ouvertes à l’ensemble de la population et le maintien des personnes handicapées chaque fois que possible dans un cadre ordinaire de travail et de vie.

On note pourtant une contradiction dans l’écart perçu par rapport à la norme, le décalage mesuré entre les valides et ceux qui sont handicapés.

Tous handicapés ? Une vision situationnelle et sociétale

Selon Jérôme GAUDINAT, président de l’association Dominer son handicap, « une personne handicapée demeure handicapée en raison de l’inadaptation de notre société ». Il poursuit, si la société est mieux adaptée pour permettre une accessibilité totale, alors il n’y aura plus de tout de personnes handicapées.
« Nous ne serons plus que des hommes et des femmes qui sommes confrontés à des situations handicapantes. »
Le postulat de certains est que nous sommes tous handicapés car nous connaissons tous des situations de handicap temporaire ou permanent, qui en agissant sur l’environnement font disparaître ces problématiques.
 

Les avancées législatives : vers une inclusion en milieu ordinaire

La loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées renonce à une approche strictement médicale du handicap et a pour objectif de faciliter le maintien en milieu ordinaire. Elle instaure une obligation d'accessibilité  des bâtiments et des transports.
Cette loi crée les maisons départementales pour les personnes handicapées (MDPH), guichet unique, en charge d’évaluer l’“employabilité” des personnes handicapées afin de mieux les orienter, une fois leur projet professionnel élaboré, vers le marché du travail. Depuis 2009, les préfets de région doivent mettre en œuvre les plans régionaux d’insertion professionnelle des travailleurs handicapés (PRITH), en lien avec les MDPH.

La Commission nationale consultative des droits de l’homme, créée en 1947, estime très utile dans son rapport « Les politiques publiques du handicap : faire face à la persistance des stéréotypes, préjugés et discriminations » de 2023, de rappeler que le handicap n’est pas systématiquement inné et que chaque personne est susceptible d’y être confrontée au cours de la vie.

Le handicap est une résultante de l’interaction entre les facteurs individuels de capacités des personnes et un environnement défavorable à la participation à la société. Cet aspect situationnel du handicap a été présenté dès les années 80 par Pierre FOUGEYROLAS, conduisant à la Classification Internationale du Fonctionnement, du Handicap et de la Santé (CIF) élaborée par l’Organisation Mondiale de la Santé, et adoptée en 2001.
La CIF ne classifie pas les individus mais le fonctionnement des individus.

D'un point de vue stratégique, ces lois génèrent un marché croissant pour l'accessibilité.
Selon l'ILO (2025), les politiques inclusives boostent la productivité via une meilleure rétention. En France, les MDPH traitent annuellement environ 1,7 million de demandes (CNSA, 2024), soulignant l'urgence démographique liée au vieillissement.
 

Élargir les perspectives : le handicap au sens large et relatif

Le handicap au sens large : en effet, certains évoquent par exemple, la pauvreté comme un handicap car par un manque de ressources essentielles, certaines personnes se retrouvent en situation de handicap.

La personne n’est handicapée que dans une situation donnée, le handicap n’existe pas en lui-même, il est relatif. Ainsi, une personne en fauteuil roulant sera en difficultés lors de certains déplacements dans un environnement non adapté. Elle pourra assurer ses missions professionnelles dans une activité bureautique.

Dans l’étude sociologique sur les représentations du handicap auprès des Français, extraite du rapport de la CNCDH (avril 2023), pour 89 % des Français, les personnes handicapées apportent une richesse au collectif de travail. 92 % des Français déclarent que, si l’un de leurs collègues de travail, victime d’un accident, revenait handicapé au travail, ils s’organiseraient entre collègues pour l’intégrer au mieux. Cette vision est remplie de tolérance et de belles intentions.

Toutefois depuis la révolution industrielle, nous pouvons constater que les employeurs cherchent à adapter les individus au marché du travail. Pour être inclusif ne vaudrait-il pas mieux adapter les emplois aux individus, en tenant compte des différentes formes de vulnérabilités qui peuvent toucher tout un chacun au cours d’une carrière et de la vie ?  Dans ce contexte, Paul RICOEUR parle de culture capacitaire, pour développer une société dans laquelle toutes les personnes sont capables, par le biais d’un « environnement capacitant » (selon l’expression de Pierre FLAZON). Ainsi l’approche descriptive a toute sa place.

Dans une optique d'intelligence économique, des entreprises, comme Microsoft®, intègrent l’IA (Copilot®, reconnaissance vocale) pour une culture inclusive, réduisant les risques comme les burnouts (30 % des actifs touchés, Empreinte Humaine 2024).
 

L'apport des professionnels : ergonomie et anticipation des situations handicapantes

Ergonomes et ergothérapeutes travaillent de concert pour décomposer les activités du quotidien et faire apparaître de potentielles situations handicapantes.

L'analyse de l'activité en ergothérapie permet d'appréhender l'activité humaine en situation réelle, écologique ou simulée. Elle évalue les composantes physiques, cognitives, sociales, affectives et comportementales, en décomposant l’activité en une somme de tâches. L’ergothérapeute, en lien avec l’ergonome pourront ainsi proposer des ajustements dans l’exécution des tâches, soit en modifiant l’activité, soit en proposant des adaptations de l’environnement. L’anticipation de ces difficultés que pourraient rencontrer tout un chacun au cours de sa vie permettrait de limiter ces situations handicapantes en proposant des solutions architecturales, techniques ou technologiques et humaines.

Ainsi la considération le modèle social du handicap présenté dans les années 80, soulignant l'importance de l’adaptation du milieu et de la réduction des obstacles, permettrait d’anticiper les difficultés des individus dans la réalisation des activités du quotidien, mettant en place de facto des adaptations de l’environnement, accessible à tous.
Stratégiquement, l'intégration d'ergonomes réduit les arrêts (ex. accords 2024 pour branches industrielles).
Les innovations comme exosquelettes transforment les vulnérabilités en avantages compétitifs.
 

Enjeux stratégiques pour les organisations : vers une intelligence inclusive

En intelligence économique, repenser le handicap comme une opportunité capacitaire invite les entreprises à investir dans des environnements adaptatifs. Cela non seulement répond aux obligations légales, mais crée un avantage concurrentiel en favorisant l'innovation et la diversité.
À l'horizon 2030, avec une population active vieillissante, les organisations qui anticipent ces enjeux domineront les marchés inclusifs

Pour aller plus loin...


A propos de l'auteur...

Stéphanie HEDDEBAUT, Ergothérapeute, Master 2 Ingénierie Pédagogique des formations de santé,
Cadre de Direction Pédagogique,
Responsable pédagogique
Institut de formation en Ergothérapie de Berck – sur – mer, site de Loos-Eurasanté

En collaboration avec ...

Jean-Marie Carrara. Docteur en Pharmacie et diplômé de Biologie Humaine.
Professeur des Universités Associé
ll est auditeur en Intelligence Economique et Stratégique à l'Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale (IHEDN)

et ...

Carole Serra, ergothérapeute, Master 2 de Cadre de santé en management des services sanitaires et médico-sociaux, responsable pédagogique à IFE de Berck site de Loos.
Instituts de Formation en
Masso-Kinésithérapie (www.ifmkberck.com)
et Ergothérapie (www.ifergo-berck.com)