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Quelque part entre le pas de danse, la séance de thérapie & le combat de boxe.


Jérôme Marchand


Mener une interview ?
Aux yeux de beaucoup, il s’agit d’un exercice sans difficulté particulière. De rapides recherches sur Internet, 4 ou 5 questions griffonnées sur un bloc-notes, un micro que l’on branche, une touche d’insolence pour faire bonne figure, et hop le tour est joué ! On transcrit, on édite, on diffuse…Cette vision manque cruellement d’épaisseur. Trop marquée par le spectacle sans grâce des animateurs télé, elle gomme le travail analytique, relationnel et psychologique qui conditionne la réalisation d’une interview de qualité. Un guide pratique écrit par un journaliste allemand vient rééquilibrer la balance.




le livre : Interviews Führen l'auteur : Christian Thiele les édtions : UVK Verlag - 2009 ISBN 978-3-86764-175-3

Quelque part entre le pas de danse, la séance de thérapie & le combat de boxe.

Voici un livre édité en Allemagne, qui s’adresse en priorité aux élèves-journalistes, et qui s’attache à leur démontrer que l’interview est une discipline exigeante, demandant un long apprentissage.

Christian Thiele possède d’excellentes références : ancien du Financial Times / Deutschland, pilier de la rédaction du Playboy allemand, enseignant à Münich, il a eu l’occasion d’approcher de nombreuses célébrités, puis de recueillir leurs confidences, et ce dans un format particulier appelant à la fois tact, maîtrise des nuances langagières, indiscrétion contrôlée (…des 2 parties en présence) et sens de l’humour.
Cette expérience de terrain se ressent d’un bout à l’autre. Interviews Führen s’adresse aux professionnels. Pas question de noyer le propos dans des verbosités académiques. Les explications sont claires, précises, correctement étagées. Les inserts (illustrations / mises en garde / témoignages) font surface à point nommé pour rompre la monotonie naissante. Surtout, le texte se garde bien de livrer des orientations trop rigides.

A plusieurs reprises, Christian Thiele utilise la métaphore de la pièce musicale pour expliquer
1) comment l’interviewer et l’interviewé sont censés concevoir leur échange,
et 2) de quelle manière ils peuvent capter et conserver l’attention des tiers (internautes / lecteurs / auditeurs / téléspectateurs).

Les passages les plus stimulants ? Mention particulière au chapitre 3, consacré à la phase de préparation, et qui dresse une typologie rapide des modes d’interrogation : questions ouvertes / fermées, questions-balcons, questions rhétoriques, questions d’explicitation, questions de provocation...(p.28-37).
Mention également au chapitre 5, qui évoque les situations particulières : table ronde, rencontre chronométrée avec une star opérant en mode publicité-marketing, interview par le canal du téléphone ou de l’e-mail (formule très décevante, en général)…

En dépit de son format réduit, Interviews Führen constitue un excellent outil de formation.
Lecture vivement recommandée !

L'interview : un art, une exigence

Les manuels d’Intelligence Economique sont couramment amenés à disséquer les techniques d’extraction grises et noires exploitées par les praticiens du renseignement Humint. Cette démarche a une vocation mi-utilitaire, mi-commerciale. Tout en injectant une touche « 007 » dans les développements, elle sert à identifier les menaces potentielles et à dessiner les parades appropriées. Mais il n’est pas certain qu’elle couvre l’essentiel. Pour au moins 3 raisons. 



Primo, cette accentuation survalorise les criminels en col blanc et leurs commanditaires : être capable d’arracher des secrets par la ruse ne signifie pas que l’on dispose du doigté psychologique et de l’outillage conceptuel requis pour exploiter correctement le butin (cf. les leçons  du dossier Clearstream).



Secundo, elle donne une vision trop étroite de ce que sont les vulnérabilités informationnelles. Tout en prenant garde aux menaces que recouvre l’élicitation ou le social engineering, une entreprise doit en priorité se préoccuper de son discours, de la qualité de son service de communication, de la manière dont ses représentants interagissent avec les mass-médias et l’opinion. L’amateurisme, en ce domaine, se révèle vite pénalisant.



Tertio, il faut comprendre que la focalisation sur les « pratiques clandestines » constitue une façon 1) de gommer les subtilités des techniques « blanches », et 2) de se doter de modèles d’évaluation binaires (extracteur / cible) qui augurent de multiples bourdes relationnelles. Dans toutes sortes de contextes. Qu’il s’agisse de recueillir de l’information, de la synthétiser et de la diffuser sous un packaging alléchant, qu’il s’agisse de dresser un profil psychologique nuancé de son interlocuteur, ou qu’il s’agisse de fournir une suite de réponses cohérentes et dynamiques, évitant les boursouflures du discours de bureau, les praticiens de l’IE ont beaucoup à apprendre des journalistes.




Beaucoup à apprendre des journalistes ?