Communication & Influence

Regardez ! Vendre la guerre. Principes élémentaires de propagande. Nicolas Moinet


Jacqueline Sala
Lundi 1 Décembre 2025


Dans les sociétés démocratiques, où l’opinion publique et les médias jouent un rôle central, la guerre ne se mène pas seulement sur le terrain militaire. Elle doit être rendue acceptable, presque inévitable, par un travail de persuasion. C’est là que la propagande entre en scène, avec ses mécanismes éprouvés et ses principes immuables.




Les rouages d’un mécanisme ancien

Dès 1914, Lord Ponsonby, opposé à l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne, avait identifié les ressorts de la propagande. Ses observations ont été reprises et systématisées par l’historienne belge Anne Morelli dans Principes élémentaires de propagande de guerre. L’idée est simple : pour mobiliser une nation, il faut convaincre qu’elle ne veut pas la guerre, qu’elle y est contrainte par l’agression de l’ennemi, et que son combat est noble.

La diabolisation de l’adversaire

La propagande fonctionne en désignant un coupable unique. Le chef du camp adverse devient l’incarnation du mal, concentrant la haine et justifiant l’action militaire. Hitler, en 1939, fit porter des uniformes polonais à ses soldats pour simuler une attaque et légitimer l’invasion de la Pologne. Plus près de nous, les guerres du Golfe furent présentées comme des combats pour la liberté, alors qu’elles répondaient à des enjeux pétroliers.

La démonstration de Nicolas Moinet met en lumière un système de propagande fondé sur neuf principes, qui permettent de transformer un conflit en nécessité. Il s’agit de se présenter comme victime, de désigner l’adversaire comme seul responsable, de concentrer la haine sur son chef et de donner à la cause défendue une dimension sacrée.

Cette sacralisation interdit toute remise en question et réduit les voix critiques au silence en les assimilant à des traîtres. L’efficacité de ce mécanisme apparaît dans l’exemple de Marina Ovsiannikova, journaliste russe qui a bravé la censure en dénonçant en direct la guerre en Ukraine. Son geste a révélé combien la propagande, en verrouillant les médias, peut maintenir l’illusion d’une cause juste et empêcher la population d’accéder à une information libre.

La légitimation par la morale

Un autre ressort consiste à présenter ses propres bavures comme involontaires, tandis que l’ennemi commet sciemment des atrocités. Les pertes sont minimisées de notre côté et amplifiées chez l’adversaire. Les artistes, intellectuels et médias sont mobilisés pour donner un caractère sacré à la cause, et toute critique est assimilée à une trahison.

Ces principes ne relèvent pas seulement du passé. En Russie, depuis l’invasion de l’Ukraine, les médias ont été verrouillés et une loi punit sévèrement ceux qui diffusent des informations jugées « mensongères » sur l’armée. L’image de Marina Ovsiannikova surgissant en direct sur le plateau du principal journal télévisé, pancarte à la main pour dénoncer la guerre, illustre la rareté et la force des actes de dissidence.


La propagande contemporaine

Dans la vidéo de décembre 2023, Nicolas Moinet illustre la guerre économique par un cas concret : l’affaire Wirecard, où une entreprise française spécialisée dans l’intelligence économique a permis à un client de se retirer à temps d’un partenariat risqué, évitant ainsi un désastre réputationnel et financier.

Un exemple de « victoire française » en guerre économique

La guerre économique ne se limite pas aux grandes manœuvres étatiques : elle se joue aussi dans la sphère privée, à travers la maîtrise de l’information. Dans l’affaire Wirecard, géant allemand des paiements électroniques, des soupçons de fraude massive ont émergé avant l’effondrement spectaculaire de l’entreprise en 2020.
Une société française d’intelligence économique, la DIT (Direction de l’Information et de la Technologie), a mené une enquête en sources ouvertes pour le compte d’un client lié à Wirecard. Grâce à cette investigation, elle a pu démontrer la gravité des risques et conseiller son client de se désengager rapidement. Cette décision a permis d’éviter que l’entreprise française ne soit entraînée dans le scandale, sauvant sa réputation et ses finances.

Semer sous la neige

Face à ce verrouillage, certains romanciers évoquent l’idée de « semer sous la neige » : planter des graines de vérité qui, malgré l’hiver de la propagande, pourront un jour germer. Cette métaphore rappelle que, même dans les périodes les plus sombres, les voix dissidentes portent en elles la possibilité d’un renouveau.


A propos de Nicolas Moinet

Professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Poitiers, Nicolas Moinet est spécialiste de l’intelligence économique et stratégique. Chercheur associé à l’EGE, il a publié plusieurs travaux sur la culture du renseignement et la compétitivité des organisations. Il anime régulièrement des séminaires et conférences sur la guerre de l’information et la souveraineté cognitive.
Praticien-chercheur reconnu en intelligence économique, il s’engage dès 1993 dans le lancement national de cette discipline en tant que chargé de mission au sein du cabinet Intelco, où il développe études, conseil et formation. Après un doctorat consacré aux dispositifs intelligents et aux stratégies d’innovation, il rejoint l’université de Poitiers puis l’IAE, où il prend la direction du Master 2 Intelligence Économique, une formation pionnière désormais accessible en apprentissage et à distance. Auteur prolifique, il a publié 100 cas d’intelligence économique et Les sentiers de la guerre économique chez VA Éditions. Chercheur au CEREGE, il privilégie la recherche-action et intervient régulièrement auprès d’institutions et d’entreprises, notamment dans le cadre de la réserve citoyenne de la Gendarmerie nationale. Diplômé de l’Institut National des Hautes Études de la Sécurité et de la Justice, il incarne une figure majeure de l’intelligence économique en France, à la croisée de l’enseignement, de la recherche et du conseil stratégique.