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Rencontre avec Jacqueline Ysquierdo Hombrecher, enseignante en veille stratégique, intelligence économique et sécurité


Jacqueline Sala


Se maintenir informé en permanence est essentiel pour l’enseignant et le formateur que nous sommes. En cela il ne faut exclure aucun domaine et ne pas s’en tenir essentiellement à la théorie de l’intelligence économique. Nous devons rester en veille sur évolution du monde avec ses tournures stratégiques, géopolitiques, économiques, scientifiques. En restant à l’écoute du monde, nous transmettons à nos étudiants non seulement nos connaissances mais les orientons sur la manière de s’informer et d’analyser.



Jacqueline Ysquierdo Hombrecher, enseignante de lettres et langues à l’éducation nationale et formatrice en intelligence économique

Jacqueline a été analyste au ministère de la Défense sur des questions liées à l’Europe et l’Amérique latine. Elle a également été Chef de projet en veille stratégique multilingue dans une société spécialisée en intelligence économique.
Docteur ès Lettres de Littérature générale et comparée de Sorbonne Paris 3 et de Philologie de l’université Friedrich Wilhem de Bonn (Allemagne), Diplômée du Centre d’Etudes diplomatiques et Stratégiques.
Nombreuses publications en Espagne, Allemagne France et Hongrie.
Elle est auditrice de la 18ème session de l’INHESJ.

 

Pouvez-vous identifier les principaux défis que vous avez rencontrés dans l'enseignement et la recherche en Master ?

J’ai dû remettre en question maintes fois mes pratiques d’enseignement en les réajustant, en concevant des critères et des indicateurs ainsi que des outils de recueil des données, en analysant les résultats, enfin en coordonnant des actions de formation en conséquence. En effet, selon les Master et le type d’étudiants, j’ai adapté ma pédagogie en apportant une méthode et des contenus en adéquation avec les programmes de chacun des Master et niveau.
 

Comment gérez-vous la diversité des besoins et des niveaux de préparation des étudiants en Master au sein de vos cours ?

Tout d’abord en respectant les fondamentaux de la discipline selon trois axes : la veille stratégique, l’intelligence économique et la gestion du facteur humain.  La qualité de la formation primant, les apprenants demeurent au centre de toute mon attention et leur appréciation est précieuse.
Une méthode simple pour évaluer les niveaux et les besoins consiste à prendre du temps en début de cursus pour établir un lien social et humain avec les étudiants, engager le dialogue pour les connaître et les faire parler sur leurs centres d’intérêt pour le Master qu’ils ont choisi.
Ainsi l’on installe climat de confiance. A la fin du cursus, ces derniers doivent évaluer mon action selon une grille d’auto-évaluation dont je tiens compte pour envisager d’autres modélisations et affiner ma méthode.
Enfin la qualité des apprentissages des élèves reste l’un des critères d’efficacité des actions entreprises. Il faut donc savoir accepter les remarques et répondre avec bienveillance et modération afin de ne jamais rompre le lien social mis en œuvre dès le début de notre action de transmission.
 

Existe-t-il des domaines de recherche spécifiques auxquels vous vous intéressez particulièrement en ce moment ?

Je n’exclus aucun domaine à part le domaine financier. J’ai d’ailleurs enseigné dans le cadre de disciplines variées comme en LEA pour de futurs traducteurs, en Management administratif, en Logistique et en Ingénierie. Les Masters d’ingénierie et technologie me passionnent particulièrement puisqu’il s’agit d’accompagner de futurs ingénieurs dans la gestion de projet où la recherche de l’information est au centre de l’innovation

Comment maintenez-vous votre expertise à jour dans votre domaine et comment cela bénéficie-t-il à vos étudiants ?

Se maintenir informé en permanence est essentiel pour l’enseignant et le formateur que nous sommes. En cela il ne faut exclure aucun domaine et ne pas s’en tenir essentiellement à la théorie de l’intelligence économique. Nous devons rester en veille sur l'évolution du monde avec ses tournures stratégiques, géopolitiques, économiques, scientifiques. En restant à l’écoute du monde, nous transmettons à nos étudiants non seulement nos connaissances mais les orientons sur la manière de s’informer et d’analyser.
 

Pouvez-vous partager une expérience ou un projet pédagogique particulièrement réussi que vous avez mené en Master ?

Difficile de choisir un projet étant donné que je suis parvenue à tous les mettre en œuvre à la grande satisfaction de nos élèves. Alors je vais plutôt décrire la méthode sur laquelle repose ma pédagogie tant pour des Master en grande école que des BTS pour des élèves d’enseignement professionnel et technique.

La pédagogie doit favoriser toutes les formes d’esprit, de styles d’apprentissage et de cultures. Il existe plusieurs façons de différencier la pédagogie. La façon la plus efficace de tenir compte des différences individuelles demeurera toujours celle qui consiste à confier à l’élève ou l’étudiant lui-même la maîtrise de son processus d’apprentissage. En effet, aucun professeur ni formateur, si habile et expérimenté qu’il soit, ne peut aller très loin dans la prise en compte de toutes les différences de tous ses élèves, tant qu’il demeure la personne qui accomplit la plupart des démarches intellectuelles dans la classe. Il faut donc s’appliquer à transférer à l’élève la responsabilité, mais d’abord la possibilité, d’assumer les phases et les aspects de l’acquisition des savoirs. Seul chaque individu, en effet, est capable de penser et d’apprendre en respectant effectivement, parce que tout naturellement, sa forme d’intelligence, son style cognitif, son rythme d’apprentissage et toutes les autres caractéristiques exclusives de sa personnalité.

En matière de pédagogie de l’IE, il faut donc favoriser la réflexion collaborative par des travaux de recherche informationnelle qui incite à l’interaction. En mêlant théorie et pratique, il faut s’assurer de la juste réappropriation des notions en synthétisant la trace écrite au plus précis. Il est fondamental d’actualiser les contenus des cours (informations, exemples...) et la progression articulée autour d’une grille de compétences et qualités à acquérir par des tâches précises.

Pour revenir à mon expérience, la démarche pédagogique variait selon que j’abordais la veille stratégique associée aux compétences du savoir être, l’Intelligence Economique débouchant sur le savoir-faire vs Ingénierie/Innovation, Management/Echanges Commerciaux, Sécurité/Sûreté en matière de protection des données stratégiques. Enfin la gestion du facteur humain caractérisant le renseignement souterrain ou le retournement des cibles pour obtenir l’information grise, graal du savoir-faire-faire. En effet, la gestion du facteur humain a cette particularité qui oscille entre renseignement et Intelligence Économique, pour lequel prévaut le devoir de réserve, règle d’or de la neutralité dans l’expression et le comportement.

L’outil numérique a toujours était le moyen par lequel nous rendions nos cours attractifs en favorisant la projection de vidéos que les apprenants devaient commenter en îlot tantôt pour décrypter les signaux faibles tantôt pour déduire le sens et synthétiser. Ces exercices se pratiquaient en îlot tant à l’écrit que lors des présentations orales.  Ce qui me paraissait intrinsèque dans mes formations, était le fait de véhiculer des valeurs communes de sécurité et de loyauté tout en pensant, concevant et élaborant pour la collectivité, ce qui exclut de fait toute attitude individualiste vu que l’objectif est celui de la protection du patrimoine intellectuel de la collectivité, et donc de la France. Les élèves ont parfaitement compris le sens de mon travail et me suivaient naturellement dans mes exigences. Je devais animer dans la durée l’individu dans le collectif en installant un climat de confiance tout en facilitant les échanges en présence et à distance. C’est ainsi que je me suis employée à entraîner mes apprenants à ne pas céder ni à la critique ni à la défense de position, d’une politique ou d’une situation mais de toujours prendre du recul pour trouver les failles d’une stratégie ou d’une situation managériale. En effet, le but était en finale de cibler l’orientation adéquate pour trouver la solution à un problème.

Par la Veille Stratégique, où il est question de recueillir, trier, sélectionner, analyser et enfin synthétiser l’information, la compétence travaillée consistait en des exercices collectifs permettant d’évaluer la capacité à écouter, lire, échanger dans une équipe, à définir des orientations en partant des consignes ou les exigences d’un décisionnaire. J’habituais mes élèves à adopter une posture distancée afin de mieux maîtriser l’information dans leurs recherches de sources sans toutefois tomber dans la boulimie ou l’anorexie face aux outils numériques comme GOOGLE ou autres agents que je mettais à leur disposition.
L’apprentissage quant à lui, devait être gradué du traitement d’un simple document informationnel à celui de plusieurs documents de différentes sources. J’ai donc conçu un programme adaptable avec des exercices de simulation et théâtralisation pour chacune des étapes de mon enseignement.

Ces étapes obligeaient les apprenants à s’interroger sur leurs recherches en partant d’une feuille de route qu’ils devaient actualiser en permanence après chaque session d’investigation et de mise en commun. La feuille de route contenait les axes des recherches selon les données informationnelles recueillies, les différents outils numériques y compris agents intelligents mis en œuvre, l’évaluation des accès et des sources, la révision des objectifs à mettre en adéquation avec un sujet ou un cahier des charges virtuel.
En un mot la posture consistait en l’observation, l’écoute attentive et l’analyse fine de données pour l’aide à la décision, tout comme l’aviateur dans son cockpit.
Une fois acquis les fondamentaux de la notion d’Intelligence Economique appliquée au monde de l’entreprise et de l’innovation, les groupes d’individus de la classe finissaient par se rejoindre dans les échanges, et peu à peu par devenir des Think Tank auxquels j’allais pourvoir confier des sujets de réflexions en matière d’Innovation, Produit, Process et captation de marchés porteurs.

Organisés en îlots, par affinité de compétences et sensibilité, mes élèves devaient fournir un travail minutieux de recherche sur un cas et selon une méthode bien définie de la Veille Stratégique qui leur demandait une rigueur et une précision sans faille.

Cet exercice se faisait sur quatre à cinq séances en lycée et sur un trimestre en grandes écoles pour un rendu écrit et oral de trente minutes avec échanges et débats avec les autres participants. Il y avait toujours un capitaine d’équipe soumis à mes questionnements et conseils qui devait rendre compte au groupe afin d’améliorer la restitution finale. Entre chaque séance, j’avais un contact direct par courriel avec les capitaines de chacune des équipes qui m’adressaient la progression de leur feuille de route.
 

Quelles sont vos recommandations pour améliorer l'expérience d'apprentissage des étudiants en Master au sein de votre institution ?

Améliorer l’environnement avec des lieux aménagés pour le confort des étudiants, avec des matériels qui fonctionnent et favoriser les échanges avec les collègues d’autres disciplines pour un meilleur suivi de nos apprenants. Je souhaite que nos professions soient respectées et mieux évaluées en termes de financement et reconnaissance.
 

Autres remarques ? Une remarque plus personnelle ?

En ce qui concerne l’enseignement, j’avoue que mes 22 années passées à transmettre en Lettres et langues vivantes à tous les niveaux dans l’éducation nationale m’ont beaucoup apportée sur le plan pédagogique et humain. J’ai pu échanger avec mes collègues d’autres disciplines en confrontant mes pratiques pédagogiques avec eux et ainsi enrichir ma vision d’ex-analyste de la défense pour la mettre au profit de la formation de l’intelligence économique.
 

Merci Jacqueline Ysquierdo Hombrecher. Lire la biobliographie complète