Gestion de crise

Situation de crise : une exacerbation de la fatigue au travail. Nadège Edwards-Pougnet

Fatigue au travail : comprendre, prévenir, transformer


Jacqueline Sala
Samedi 20 Décembre 2025


À partir d’une thèse consacrée à la fatigue comme phénomène multifactoriel et ressenti singulier, cette réflexion explore les effets de la fatigue dans les contextes de travail intensifiés, notamment en situation de crise. En mobilisant les outils de l’ergologie et les apports croisés de la philosophie, des sciences humaines et de l’ergonomie, l’auteur met en lumière les mécanismes cognitifs, physiques et psychiques à l’œuvre, ainsi que les leviers individuels et collectifs susceptibles d’en limiter les impacts. Une approche stratégique pour penser la prévention autrement, au plus près de l’activité réelle.




Comprendre la fatigue au travail : un phénomène dynamique et pluriel

La rédaction de ma thèse Fatigue au travail : état multifactoriel, ressenti singulier s’inscrivait déjà dans la volonté d’aborder une problématique ancrée dans l’activité réelle des entreprises et des institutions.

Ce travail m’a permis de montrer que la fatigue au travail est un phénomène évolutif, inscrit dans plusieurs temporalités et touchant simultanément les dimensions cognitive, physique et psychique de l’individu. Elle dépend des conditions de travail, des caractéristiques personnelles et de la capacité de récupération.

Ressentie comme un signal d’alerte, elle indique la nécessité de restaurer les ressources engagées ; lorsqu’elle n’est pas compensée, elle peut conduire à des atteintes durables, qu’il s’agisse de troubles musculo‑squelettiques ou de troubles psychosociaux.

Renormalisation, corps‑soi et rôle du collectif

La fatigue n’est pourtant jamais un mécanisme automatique : elle varie selon les marges de manœuvre, l’expérience, les stratégies d’économie de soi et la qualité du soutien collectif.

Les approches philosophiques et scientifiques mobilisées — de Merleau‑Ponty à Damasio, de Canguilhem à Schwartz — montrent que l’activité résulte d’un dialogue permanent entre l’individu et son environnement. L’opérateur renormalise en permanence les normes dans lesquelles il inscrit son action, en arbitrant entre contraintes, ressources et exigences.
Cette renormalisation engage le « corps‑soi », concept d’Yves Schwartz, où se croisent les dimensions physique, cognitive et psychique. Les observations de terrain révèlent que les facteurs de fatigue peuvent être tantôt aggravants, tantôt compensateurs, selon leur combinaison.

La prévention doit donc dépasser les prescriptions formelles pour intégrer l’expérience des opérateurs, le développement des compétences et la solidité du collectif de travail.

Fatigue et gestion de crise : enjeux critiques pour l’action et le RETEX

Je souhaite désormais mettre en œuvre ces outils de l’ergologie dans des diagnostics et plans d’action, notamment dans les contextes de crise ou les secteurs à risques — chimiques, naturels ou biologiques.

Dans ces environnements, la fatigue influence fortement les prises de décision : baisse du consentement à l’effort, recours accru aux routines, allongement des temps de réaction, multiplication des biais, risques de focalisation excessive sur un seul scénario. Ces mécanismes peuvent altérer la vision globale et conduire à des erreurs d’interprétation.

Le RETEX, moment essentiel de consolidation des compétences, est lui aussi fragilisé par la fatigue : mémoire de travail altérée, simplification excessive des faits, difficulté à remettre en cause les schémas d’action, attention réduite aux signaux faibles, ou encore mise sous silence d’éléments émotionnellement lourds.

Dans une situation de crise, où l’urgence et l’intensité des enjeux redoublent la charge physique, psychique et cognitive, ces effets se renforcent mutuellement. C’est pourquoi mes travaux à venir viseront à identifier et activer des leviers protecteurs — individuels, collectifs et organisationnels — afin de mieux prévenir la fatigue aiguë et chronique et de soutenir l’efficacité de l’activité réelle.

A propos de Nadège Edwards-Pougnet

Docteure en philosophie depuis 2019, diplômée d'Aix-Marseille Université, je suis également analyste des situations de travail (à travers l'approche ergologique).

Mon parcours professionnel est passé par de multiples détours, tout particulièrement la santé et l'industrie.

Plus récemment j'ai fondé Cyclalis, entreprise de conseil, afin d'explorer mon sujet de prédilection, la fatigue au travail, sous tous ses aspects.

Parallèlement, j'ai entrepris de me former afin de me diriger vers la gestion de crise, secteur d'une actualité toujours plus brûlante.