Prospective

Décryptage des mutations de 2025 et leurs impacts à dix ans. Le rapport "Global Foresight 2025"

4ème édition du Scowcroft Center for Strategy and Security de l'Atlantic Council.


Jacqueline Sala & David Commarmond
Mercredi 13 Août 2025


Des chiffres qu'il ne faut surtout pas prendre au "pied de la lettre". L'origine de ce rapport n'est pas anodine. Brandir le pire permet d'instaurer des rapports d'influence, basés sur la peur, qui font passer ce message : les dés sont jetés, toute résistance est irrationnelle, le compromis est la meilleure des solutions. Et c'est justement pour cela que ces "prévisions" méritent d'être connues. D'abord pour déjouer leur toxicité, d'autre part pour reprendre la main sur le narratif et donc inventer d'autres imaginaires et de nouveaux horizons.




Un certain regard sur l’avenir : tendances, signaux faibles et scénarios

Ce rapport invite les professionnels de l’information à plonger au cœur des forces qui façonnerait la transformation en 2025, pour en mesurer les retombées sur la décennie à venir et au-delà. Loin de se cantonner à un tableau sombre, il mise sur une analyse fouillée : comment nos choix et nos silences d’aujourd’hui sculpteront-ils, dans dix ans, un monde plus prometteur… ou au contraire plus inquiétant ? Dans le meilleur des cas ces prévisions peuvent aussi favoriser un sursaut démocratique ! Espérons-le.

Ce rapport propose un éclairage inédit sur les forces motrices et les incertitudes sur le monde de demain, en s’appuyant sur une analyse approfondie des tendances émergentes, des risques à anticiper et des choix stratégiques qui préparent dès aujourd’hui l’horizon 2035.

Il s’appuie d’abord sur les résultats d’une vaste enquête internationale menée auprès de 357 géo‑stratèges et experts de la prospective issus des réseaux de l’Atlantic Council, dont les projections couvrent un champ étendu allant de la géopolitique aux conflits, en passant par la technologie, la démographie, les droits et le climat.

Il met également en lumière six phénomènes discrets mais potentiellement déterminants à partir de 2025, surnommés les « Léopards des neiges »*. Enfin, il déroule trois visions contrastées de l’avenir : L’ordre international réticent, La Chine ascendante et Climat de peur, chacune issue de l’interaction des tendances actuelles.

Au‑delà de prévisions parfois sombres, on peut aussi y voir une opportunité pour offrir des clés de lecture permettant de comprendre comment les décisions – et les absences de décisions – d’aujourd’hui dessineront, dans dix ans, un monde plus prometteur… ou plus inquiétant.

Au cœur des scénarios d’avenir. Les signaux qui dessinent demain

L’enquête dresse un portrait global assombri par le pessimisme : une majorité des experts interrogés anticipent un monde en moins bon état dans dix ans, redoutant un horizon marqué par une nouvelle guerre mondiale, la prolifération nucléaire, l’enlisement des conflits en Ukraine et à Gaza, le déclin des institutions multilatérales et une « dépression démocratique ».

Pourtant, quelques lueurs subsistent : l’intelligence artificielle est perçue par plus de la moitié des répondants comme un atout pour les affaires mondiales, et la coopération internationale sur le climat pourrait gagner du terrain.

 

Le risque de confrontation majeure entre grandes puissances se précise, avec, pour la première fois, quatre sondés sur dix envisageant un conflit multi‑fronts d’ici 2035, possiblement agrémenté d’un affrontement dans l’espace. L’éventualité de l’usage d’armes nucléaires, par la Russie ou la Corée du Nord notamment, est désormais prise très au sérieux. La Chine, jugée plus susceptible de recourir à la force pour reprendre Taïwan, et la Russie, dont les tensions avec l’OTAN s’exacerbent, se retrouvent au cœur des inquiétudes, sur fond de rapprochement stratégique avec l’Iran et la Corée du Nord.
 

Sur le plan stratégique, l’Iran est vu comme le candidat le plus probable à rejoindre le cercle des puissances nucléaires, aux côtés potentiels de la Corée du Sud et du Japon. Les États‑Unis, bien que promis à rester la première puissance militaire, voient leur influence relative s’éroder dans d’autres domaines, et leur capacité à conserver un réseau d’alliances solides est jugée moins assurée. Le sort de l’Ukraine demeure sombre, la plupart des experts prévoyant une issue favorable à Moscou ou un conflit gelé, tandis que le processus de paix israélo‑palestinien reste enlisé, malgré la perspective d’une normalisation entre Israël et l’Arabie saoudite.
 

Les institutions multilatérales, à commencer par l’ONU et l’OMC, sont perçues comme vouées à perdre en efficacité, au profit possible de blocs régionaux plus agiles comme l’ASEAN, l’Union européenne ou les BRICS, malgré les interrogations sur la cohérence de leur agenda. Parallèlement, la crise démocratique risque de s’approfondir, affaiblissant la liberté de la presse et nourrissant un sentiment de résignation, particulièrement marqué chez les femmes, plus inquiètes que les hommes sur l’avenir politique, sécuritaire et leurs droits fondamentaux.
 

Dans ce panorama contrasté, l’avenir apparaît comme un terrain d’incertitude extrême, où les décisions – ou les renoncements – des prochaines années auront un poids décisif sur la trajectoire mondiale à l’horizon 2035.


Scénarios pour penser les futurs possibles

Le rapport imagine trois futurs contrastés qui ne relèvent pas de la prévision mais de la réflexion stratégique.

Dans l’ordre international réticent, le système multilatéral survit sans se réinventer, contenant les crises grâce à des coopérations minimales et à l’action d’acteurs non étatiques, tandis que la Chine et les États‑Unis maintiennent une coexistence prudente.

Dans la Chine ascendante, Pékin prend l’ascendant global sur Washington, impose ses règles au système international et étend son influence économique et politique, au prix d’un recul marqué des normes démocratiques.

Enfin, dans le climat de peur, l’emballement climatique déclenche crises humanitaires massives, tensions politiques et conflits, la transition énergétique restant trop lente et la tentation de solutions technologiques risquées gagnant du terrain.


"Une décennie sous tension"

Le rapport Global Foresight 2025 de l’Atlantic Council dresse la perspective d’une décennie sous tension, où le spectre d’un conflit mondial et la prolifération nucléaire pèsent lourdement sur l’équilibre géopolitique.

Dans ce paysage, la Chine apparaît comme la grande puissance montante, redessinant les rapports de force tandis que la planète affronte des défis climatiques pressants aux répercussions sociales et politiques profondes.

L’étude s’attarde aussi sur des “léopards des neiges” * — signaux faibles technologiques et sociétaux — susceptibles de bouleverser la trajectoire mondiale.

En toile de fond, elle estime qu’un effondrement total de l’ordre international reste évitable, mais qu’un système multilatéral affaibli ou un monde centré sur Pékin semblent bien plus plausibles qu’un sursaut démocratique et coopératif.

 


À Washington, le Scowcroft Center for Strategy and Security, bras stratégique de l’Atlantic Council, façonne les débats mondiaux sur la sécurité en imaginant des réponses durables aux défis géopolitiques d’aujourd’hui et de demain. Héritier de l’approche pragmatique du général Brent Scowcroft, il conjugue vision à long terme et diplomatie d’influence pour peser sur l’équilibre international.

* Référence : "Léopards des neiges"

Décryptage des mutations de 2025 et leurs impacts à dix ans. Le rapport "Global Foresight 2025"

Dans le rapport Global Foresight 2025, l’expression « Léopards des neiges » désigne ces phénomènes furtifs, à peine perceptibles aujourd’hui et pourtant susceptibles de déclencher des bouleversements majeurs d’ici 2025 et au-delà. Concepts directement fondés sur la veille stratégique.

À l’image du félin insaisissable qui rôde dans les hautes montagnes, ces « snow leopards » incarnent des signaux faibles : des ruptures technologiques, des menaces sanitaires émergentes ou des tensions géopolitiques latentes dont l’ampleur réelle n’apparaît que lorsque toute une chaîne d’événements se met à basculer.