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Trois questions à : Audrey Knauf, Maître de conférence en Sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lorraine et chercheuse au Centre de Recherche sur les Médiations (CREM au sein de l’équipe Pixel).


David Commarmond




DC : Quel était votre ressenti lors de votre intervention à IES 2022?

Trois questions à : Audrey Knauf, Maître de conférence en Sciences de l’information et de la communication à l’Université de Lorraine et chercheuse au Centre de Recherche sur les Médiations (CREM au sein de l’équipe Pixel).
AK : Très positif, je n’ai pas pu assister à la totalité du forum, mais les sessions que j’ai suivies m’ont beaucoup plu. Tout d’abord c’est un plaisir de voir que l’IE est toujours active et qu’elle mobilise les foules, que de nombreux projets sont encore mis en place et suscitent curiosité et intérêt.
 
Concernant la table ronde et la formation, les étudiants et les métiers, l’intérêt demeure identique. Les professionnels sont conscients des travaux des étudiants et ils sont souvent bien accueillis, que ce soit en master ou en doctorat.

DC : Votre table ronde était un moment important, car les étudiants et les futurs doctorants seront les chercheurs de demain ?

AK : Un constat : Trop souvent le mémoire est considéré par les étudiants comme un exercice théorique, suscitant inquiétude et stress. Pourtant c’est un exercice très riche avec un état de l’art scientifique exhaustif et à jour sur le champs disciplinaire auquel il se réfère (ndlr l’IE) qui est mis en perspective par une expérimentation de terrain. Pour leur réalisation, les étudiants sont accompagnés par des enseignants-chercheurs du laboratoire de rattachement du Master, le Centre de Recherche sur les Médiations (CREM)

DC : La proposition de loi sur l’intelligence économique se propose-t-elle de relancer le processus et de le diffuser ? Qu’en pensez-vous ?

AK : La proposition de loi a le mérite de remettre l’IE sur la table. Mais pour moi, «L’intelligence économique est un état d’esprit avant tout. Multiplier la profusion de textes ne changera rien si les entreprises ne se saisissent pas de la problématique et des enjeux qui en découlent ».
 
Sur ce point, je n’ai pas l’impression que le monde de l’entreprise et les institutions aient beaucoup évolué en quinze ans. Ce constat, je l’ai fait durant mes travaux de thèse et 15 ans après, j’ai toujours le sentiment que la culture de l’IE peine à être diffusée en entreprise et à l’université.
 
On peut donc dire qu’une piqûre de rappel est toujours bonne à administrer, mais sans réelle motivation et volonté, nous ne progresserons pas beaucoup. Si la veille stratégique a fait quelques progrès, de nombreux angles morts demeurent, tels que la mise en place de procédures organisées et pérennes de gestion de crise ou des risques. La question des processus, méthodes et procédures ne sont que rarement mis en place de manière systémique, ou sont beaucoup trop cloisonnés (il faut faire se coordonner les directions métiers).

On peut étendre ce constat aux entreprises. Souvent, le travail des étudiants ne survit pas à leur départ. Leur travail est pourtant un atout dans les entreprises accueillantes, mais elles ont dû mal à le valoriser et à l’intégrer dans leur processus sur le long terme. C’est pourquoi, je sensibilise mes étudiants à cette question, qu’ils diffusent au sein de l’entreprise la culture de l’IE, et l’expérience qu’ils accumulent. Peut-être ne seront-ils pas recrutés, mais cela fait partie de leur mission, celle notamment de prévoir l’après.


DC : Contre quoi faut-il lutter ?

AK : Il faut lutter contre les silos : l’intelligence économique, la cybersécurité, la géopolitique, la communication, font partie des disciplines qui doivent se parler. Silo dans les formations, mais dans les entreprises aussi. Il faut que l’information circule, au bon moment, au bon endroit. Il manque une méta-base de connaissances et un coordinateur territorial qui permette d’impulser une dynamique et une culture, en élaborant, par exemple, des cartographies d’acteurs et de compétences sur les territoires. Cela fait partie des besoins récurrents que nous avons identifiés en région.

DC : D’autres pistes d’évolution ?

AK : L’intelligence territoriale qui pose notamment la question de l’attractivité, est essentielle pour attirer et retenir les étudiants dans les entreprises dynamiques mais situés dans des territoires difficiles et qui pâtissent d’une mauvaise image. Ce sont des vrais enjeux d’intelligence économique. Depuis quelques années cependant, je constate que les territoires alsacien et Luxembourgeois sont plus attractifs pour les étudiants.

Est-ce une exception ? La proximité de l’Allemagne, du Luxembourg, la Suisse et l’Italie peuvent être des atouts économiques.
 
Il faudrait aussi que l’intelligence économique dispose d’un code Rome à part entière pour être identifié par Pôle Emploi. N’existant pas par elle-même, elle est souvent associée à la prospective ou à la communication. Et c’est un frein à la diffusion de la culture de l’intelligence économique car elle manque de fait, de visibilité et de légitimité.

DC : Quelques mots de conclusion ?

AK : Les discours et pratiques qui ressortent du forum incitent à combiner différentes sources de veille scientifiques avec celles des réseaux sociaux numériques.
 
Des actions, comme : être à l’écoute, savoir communiquer, manager et animer une communauté interne, afin de susciter l’intérêt et la motivation à partager ses informations. Il est aussi important de se dégager des jours en situation immersive afin de réaliser des brainstormings avec des experts pour alimenter un projet de veille et créer d’un réseau de partage d’informations (Gilles Rodriguez a d’ailleurs mentionné le rôle du community manager). Ce qui est également ressorti dans ce forum, c’est l'importance de la recherche,  de l’approche territoriale et de la gestion de la donnée et de ses aspects juridiques Enfin, tous s’accordent à dire qu’il est essentiel de développer une  pédagogie de l’IE et de faire reconnaître sa plus-value : il y a ici un réel enjeu de visibilité et de CULTURE de l’IE.
 
Pour résumer mes propos, je retiendrais ces mots-clés qui ont fait sens durant ces deux jours : méthode, agilité, relations humaines et transversalité.

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