
Derrière ces mesures-chocs, c'est tout un modèle économique — celui du multilatéralisme commercial (3) — qui vacille sous les coups d'un nationalisme économique brutal et assumé.
Désarmer l'Europe par la guerre des normes et des usines
La première cible est claire : l'Union Européenne. Accusée de pratiques déloyales, d'une fiscalité discriminatoire envers les GAFAM et d'une passivité diplomatique, Bruxelles devient dans le récit trumpiste l'ennemi commercial structurel, à la fois faible, dépendant et arrogant. La réponse américaine consiste à imposer une relocalisation forcée : si l'Europe veut continuer à vendre aux États-Unis, elle devra produire... aux États-Unis. Il s'agit d'un chantage stratégique, déguisé en logique de compétitivité.
La Commission européenne menace de riposter avec un plan de représailles de 108 milliards de dollars. Mais cette posture défensive révèle la vulnérabilité industrielle du Vieux Continent, qui reste dépendant d'un accès au marché américain, tout en manquant d'une stratégie autonome de puissance.
Apple : l'arme paradoxale du techno-nationalisme
Trump frappe aussi au cœur de l'« empire Apple ». Non pas pour affaiblir l'entreprise, mais pour la réintégrer de force dans une logique industrielle nationale. Le message est limpide : même les champions du capitalisme numérique ne peuvent plus s'exonérer de la souveraineté manufacturière. Produire en Inde ne suffit plus. Il faut produire sur le sol américain, ou subir la sanction douanière.
Ce geste n'est pas un simple coup de communication : c'est un avertissement à toutes les multinationales. L'ère des chaînes de valeur globalisées est révolue. Le nouveau paradigme impose un ancrage territorial, une loyauté fiscale, et une utilité géoéconomique au service de l'intérêt national.
La guerre économique comme outil de gouvernement
Ce type de conflit (4) commercial est lu désormais non comme une dérive, mais comme une structuration normale des rapports de force économiques entre puissances. Trump applique ici les trois principes fondamentaux de la guerre économique :
- désorganisation de la concurrence par l'imposition de normes unilatérales ;
- pression fiscale asymétrique pour réorienter les flux industriels ;
- diplomatie coercitive via les outils commerciaux.
Ces leviers, utilisés simultanément, forment un dispositif offensif complet, destiné à affaiblir l'adversaire tout en renforçant la base intérieure. Le but ultime ? Réindustrialiser par le choc, et redéfinir la souveraineté comme capacité de contrainte sur l'économie globale.
(4) Christian Harbulot, Manuel d’intelligence économique, comprendre la guerre économique, Paris, PUF, 2015.
Vers un été stratégique à haut risque
Les prochaines semaines seront décisives. Washington brandit la menace. Bruxelles temporise. Les marchés vacillent. Mais derrière cette tension visible se joue une bataille plus profonde : celle de la maîtrise des flux économiques mondiaux, de la capacité à imposer ses normes, et de la redéfinition du capitalisme comme outil géopolitique.
La guerre économique, longtemps perçue comme une exception, est devenue la règle implicite du XXIe siècle. Ceux qui refusent de la reconnaître seront les premiers à la perdre
A propos de Guiseppe Gagliano
Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE)
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/