STRATEGIES

Trump et Xi Jinping (习近平) : la détente commerciale et la rivalité stratégique

Tribune libre Par Giuseppe Gagliano, Cestudec


Jacqueline Sala
Samedi 1 Novembre 2025


À Busan, Donald Trump et Xi Jinping ont signé une trêve commerciale aussi inattendue que stratégique.** Derrière les gestes diplomatiques, un troc d’intérêts immédiats : terres rares contre soja, fentanyl contre droits de douane. Mais cette pause ne signe pas la paix — elle redéfinit les lignes d’une guerre économique où la technologie, plus que les tarifs, devient l’enjeu central.



Trump et Xi Jinping (习近平)  : la détente commerciale et la rivalité stratégique
La rencontre entre Donald Trump et Xi Jinping à Busan, en Corée du Sud, a eu lieu le jeudi 30 octobre 2025.

Une rencontre au sommet sous le signe du pragmatisme

À Busan, en Corée du Sud, Donald Trump et Xi Jinping ont scellé une trêve inattendue dans une guerre commerciale qui empoisonne depuis des années les relations entre Washington et Pékin.

Le président américain a annoncé une réduction des droits de douane sur les importations chinoises, passant de 57 % à 47 %, ainsi qu'un allègement de moitié sur les produits chimiques liés à la fabrication du fentanyl.
En échange, la Chine s'est engagée à lutter plus fermement contre le trafic de cet opioïde synthétique, à reprendre ses achats de soja américain et à maintenir ses exportations de terres rares, essentielles pour l'industrie mondiale.

Le troc des puissances

Sous l'apparence d'une réconciliation cordiale, l'accord repose sur un calcul politique précis.

Trump, à la veille de nouvelles échéances électorales, cherche à apaiser les agriculteurs du Midwest et à démontrer qu'il agit contre l'épidémie de fentanyl, principale cause de surmortalité aux États-Unis.
Xi Jinping , de son côté, veut stabiliser une économie fragilisée par le ralentissement interne et par les restrictions occidentales, tout en préservant le leadership chinois sur les secteurs stratégiques de la haute technologie et de la transition énergétique.

Ce dialogue ne relève pas de la coopération, mais d'un pragmatisme à froid : un échange d'intérêts immédiats entre deux superpuissances rivales qui s'observent autant qu'elles se redoutent.

 


Les terres rares, la monnaie du pouvoir industriel

Derrière les chiffres, la véritable bataille concerne les terres rares. Ces minerais, indispensables à la fabrication des batteries, des smartphones et des avions de combat, sont contrôlés à plus de 70 % par la Chine. En affirmant que Pékin "n'imposera pas de restrictions", Trump a voulu rassurer les marchés et éviter une flambée des coûts de production occidentaux.

Mais le président américain a profité de son voyage en Asie pour signer des accords avec le Japon et plusieurs pays de l'ASEAN, destinés à diversifier les sources d'approvisionnement. C'est là l'objectif stratégique des États-Unis : réduire leur dépendance à l'égard de Pékin, reconstruire une autonomie industrielle et, à terme, transférer le centre de gravité technologique de l'Asie vers le Pacifique occidental.

Les marchés entre espoir et méfiance

Les marchés financiers ont accueilli cette annonce avec prudence. L'indice de Shanghai a chuté, signe que la Chine redoute une détente éphémère, tandis que les bourses américaines et européennes ont réagi en dents de scie. Les contrats à terme sur le soja, après un rebond initial, se sont affaiblis : preuve que les investisseurs doutent de la solidité des engagements pris par Pékin.

Cette volatilité traduit un fait simple : l'accord de Busan ne résout rien. Il suspend temporairement la confrontation sans en modifier les ressorts structurels. L'économie mondiale reste divisée entre deux logiques concurrentes — celle de la domination industrielle chinoise et celle du protectionnisme américain.

L'ombre technologique

Un silence révélateur a plané sur la question des semi-conducteurs. Trump a nié toute concession sur le processeur d'intelligence artificielle Blackwell de Nvidia, dont l'exportation vers la Chine est strictement encadrée.
Ce refus illustre le cœur du nouveau conflit : non plus les droits de douane ou les denrées agricoles, mais la suprématie technologique. Dans cette "guerre froide numérique", la maîtrise des puces, des données et de l'intelligence artificielle vaut plus que les routes de la soie.

Une trêve, pas une paix

L'entretien de Busan n'a donc pas mis fin à la guerre économique : il en a simplement redéfini les contours. Trump et Xi ont chacun obtenu ce dont ils avaient besoin — un geste politique pour l'un, un répit économique pour l'autre — sans toucher aux causes profondes de leur rivalité.
Les États-Unis veulent contenir la montée en puissance chinoise, la Chine veut démontrer qu'aucun ordre mondial ne peut se construire sans elle. Cette trêve commerciale n'est qu'une étape dans une lutte beaucoup plus vaste, celle pour la maîtrise du XXIe siècle. Sous les sourires diplomatiques, la compétition continue — plus subtile, plus silencieuse, mais toujours totale.

A propos de ...

Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE).
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
La responsabilité de la publication incombe exclusivement aux auteurs individuels.

Références