Gestion de crise

Venise forge l’État de droit : trente-cinq ans de leçons constitutionnelles transnationales

Rencontres de Venise


Jacqueline Sala
Vendredi 11 Juillet 2025


En ce début mars 2025, Venise a accueilli son prestigieux rendez-vous juridique tandis qu’à Londres, les stratèges de la communication publique européenne se sont retrouvés pour esquisser les contours d’une réponse collective aux défis de l’information. D’un côté, le Palazzo Ferro Fini ouvre grand ses portes pour célébrer les trente-cinq ans de la Commission de Venise.



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A Venise, experts et magistrats affluent pour explorer le thème « Leçons apprises et leçons à tirer ».
Ils reviennent sur trois décennies d’élaboration de normes constitutionnelles transnationales, entre inspiration mutuelle et recommandations désormais inscrites dans la pratique des cours suprêmes. Les débats se font vifs dès la première intervention : peut-on réellement exporter un modèle institutionnel sans en tordre la substance locale ? Source : CAP’COM

Au cœur des discussions, la question de l’équilibre des pouvoirs cristallise les passions.

Les orateurs évoquent aussi, avec la même intensité, le rôle décisif des juridictions constitutionnelles dans la lutte contre la corruption. Chacun s’accorde à souligner que la crédibilité de l’État de droit passe par une justice indépendante, mais les propositions se heurtent parfois à la réalité politique des États membres.

Les sessions consacrées aux réformes judiciaires donnent lieu à des échanges presque théâtraux, tant la prise de parole est ponctuée d’exemples concrets. On raconte comment une modification de la procédure pénale en Lituanie a fait plier un réseau mafieux ; plus loin, c’est le récent arrêt du tribunal constitutionnel roumain qui retentit comme un signal fort contre les ingérences politiques. 

Au terme de ces journées, deux sphères se sont confrontées et complétées.

 
À Venise, on rebat les cartes des principes constitutionnels, là où à Londres on invente les tactiques de la communication d’État. Entre l’éthique du juge et l’agilité du communicant, une évidence émerge : face aux bouleversements de notre époque, aucun pilier de la démocratie ne résistera à lui seul. 

Venise forge l’État de droit : trente-cinq ans de leçons constitutionnelles transnationales
Nous ferons ici un focus sur l'intervention de  Natalie Maroun qui a pris la parole lors des Rencontres de Venise.

C’est d’abord sa posture de Directrice associée chez « element » et d’Ambassadrice pour le Climat de la Commission européenne qui a retenu l’attention de l’auditoire. Forte de son expérience en gestion de crises organisationnelles et médiatiques, elle a posé un regard acéré sur la mécanique de la désinformation et ses répercussions politiques.
Son introduction a immédiatement brossé un panorama de l’enjeu : la désinformation naît toujours dans un contexte de crise, s’alimente d’émotions collectives et fragilise la confiance des citoyens envers leurs institutions.

Principe central de sa réflexion, inspiré des trois filtres de Socrate : vérité, intentionnalité et utilité.

 Loin de se cantonner à une dichotomie vrai/faux, elle a insisté pour distinguer la désinformation du simple mensonge, soulignant qu’elle se niche « à l’interface entre le faux et l’intention de nuire ».
Selon elle, répondre sans discernement à toute rumeur, c’est donner de l’ampleur à ce qu’on cherche à combattre. La clé réside dans une veille active et ciblée, capable de repérer les signaux faibles avant qu’ils ne deviennent viraux, tout en préparant à l’avance des pistes de réponses légitimes et adaptées aux émotions des publics ciblés.

Face à la polarisation croissante, Natalie Maroun a prôné la priorité à l’écoute. Avant d’élaborer une riposte, elle encourage les communicants à cartographier précisément leurs audiences, à identifier leurs besoins, leurs craintes et leurs représentations. Cette démarche d’empathie, a-t-elle expliqué, facilite ensuite l’élaboration de messages nuancés et cohérents, loin d’une réponse défensive ou dogmatique. En se plaçant non pas en « émetteur » mais en « facilitateur de dialogue », l’institution s’offre une chance de désamorcer les tensions et de restaurer un espace de compréhension mutuelle.

Transparence dans les décisions, cohérence dans le temps et engagements concrets

Lorsque vient le moment de contrer la désinformation, Natalie Maroun met en garde contre l’« effet Streisand » : répondre à chaque attaque sur le seul plan émotionnel ou médiatique revient souvent à amplifier le récit nuisible.
Sa prescription consiste à définir des indicateurs d’alerte, à structurer le dispositif de veille (canaux, fréquence, priorités) et à opérer un tri rigoureux dans les signaux reçus. Seules les campagnes à fort potentiel viral ou susceptibles de porter atteinte à la réputation méritent une intervention, idéalement relayée par des tiers de confiance – experts, journalistes ou partenaires – pour renforcer la crédibilité de la réponse.

En conclusion de son intervention, Natalie Maroun a rappelé que la reconstruction de la confiance après une crise ne se résume pas à un habillage communicationnel. Elle repose sur trois piliers : la transparence dans les décisions, la cohérence dans le temps et des engagements concrets. Reconnaître ses erreurs, associer les parties prenantes au processus de réparation et tenir les promesses formulées sont autant d’étapes indispensables pour transformer la crise en opportunité de renforcer le lien citoyen–institution. C’est en cela, selon elle, que la communication de crise devient un levier puissant pour consolider la résilience démocratique européenne.

Source : CAP’COM


A propos des Rencontres de Venise

Les Rencontres de Venise, qui se tiennent chaque année au Palazzo Ferro Fini depuis plus de trente ans, rassemblent magistrats, universitaires et représentants du Conseil de l’Europe pour faire le point sur les défis de l’État de droit en Europe. En 2025, sous le thème « Leçons apprises et leçons à tirer », les intervenants ont étudié des cas concrets — des réformes judiciaires en Lituanie aux arrêts clés des tribunaux roumains — pour nourrir une réflexion collective sur l’équilibre des pouvoirs et la lutte contre la corruption. Ce colloque fonctionne comme un véritable « laboratoire constitutionnel », où normes transnationales et réalités nationales s’ajustent dans une dynamique d’innovation permanente, traçant ainsi une feuille de route pour renforcer la démocratie grâce à l’indépendance judiciaire et à la coopération entre États.