Intelligence des risques

Le Moyen-Orient à l'heure de la "non-globalisation" : une question de survie communautaire et de solution régionale


David Commarmond
Mercredi 10 Décembre 2025


Le 27 novembre dernier s’est tenu au Sénat un Dîner débat intitulé « La planète sous tension : entre guerre froide et guerres chaudes », organisée par le Think Tank LIBERTÉ & PROSPECTIVE ».L'événement a réuni plusieurs intervenants de renom dont Guillaume David Deniel pour discuter de la situation actuelle, marquée par des guerres et des recompositions de puissances, ainsi que par la remise en cause de l'ordre international libéral.
L'intervention Guillaume David Deniel, expert franco-israélien spécialisé en intelligence artificielle (IA) et en cyber-armes offensives et défensives, a apporté un éclairage critique sur les dynamiques géopolitiques du Moyen-Orient lors du dîner-débat.



La philosophie d'une région en lutte constante

Fort de son expérience, notamment son implication dans la technologie Pegasus, utilisée par cinq agences de renseignement, M. Guillaume David Deniel a appelé à une remise en question radicale de la perception occidentale de la région, particulièrement dans le contexte des tensions actuelles et de l'après-accords de Charm el-Cheikh.

Sa thèse centrale est l'existence d'une déconnexion fondamentale entre la pensée occidentale et la réalité moyen-orientale, jugeant qu'il est impossible d'appliquer une vision de globalisation à cette région.
 
Selon Guillaume Deniel, les dynamiques du Moyen-Orient sont façonnées par une histoire de conflits incessants pour la délimitation du territoire, une situation qui perdure depuis la chute de l'Empire ottoman et les accords secrets de Sykes-Picot en 1916. Contrairement aux pays occidentaux où les frontières sont établies, les peuples de cette région sont en constante négociation et bataille pour leur communauté, leur village ou leur région.

Cette réalité se traduit par des lois culturelles qui diffèrent profondément de la pensée européenne :
  • Le temps est relatif : Alors qu'en Occident, « le temps, l'Occident la montre », au Moyen-Orient, on a « des temps ». Cela signifie que même après la définition d'accords, on se donne le temps de les mettre en place.
  • L'accord comme point de départ : Au Moyen-Orient, « une négociation commence lorsqu'un accord est signé ». Ce principe s'applique notamment au sujet de l'accord de Deniel pour la libération des otages, où l'accord initial est perçu comme une opportunité pour « obtenir plus ».
  • La primauté du succès : L'une des lois fondamentales est que « si je fais quelque chose et que ça réussit, c'est qu'il fallait que je le fasse ». L'absence de règles occidentales permet à l'action réussie de se justifier par elle-même.
  • Dieu au centre : Si l'Europe a construit sa société en plaçant l'Homme au centre, en Orient, « Dieu est au centre de la construction. L'Homme est un moyen et rien d'autre qu'un moyen ».

Les enjeux des communautés locales

L'expert a souligné que l'approche doit être locale et communautaire, et non globale, en citant des exemples spécifiques de communautés et de territoires.
  • Gaza et Israël : Des zones à Gaza, bien que sous le contrôle du Hamas, n'ont pas été envahies par l'armée israélienne car la communauté ou le village « travaille avec Israël ».
  • Le Liban et les Maronites : Historiquement, des communautés comme les Maronites voyaient avec Israël, permettant à l'état-major israélien de se placer dans leurs maisons lors de conflits.
  • La Syrie et les Druzes : La communauté Druze en Syrie demande la protection d'Israël. Les États-Unis, après l'accord de Charm el-Cheikh, envisageaient d'installer une base à Damas pour protéger cette communauté, illustrant la priorité accordée aux intérêts communautaires sur la globalisation.
  • La Turquie : La Turquie a intérêt à ce que la Syrie reste une « zone globale » pour pouvoir en prendre le contrôle. Si la Syrie était morcelée (selon une solution régionale), il serait plus difficile pour la Turquie de s'y imposer.

Guillaume Deniel a également soulevé des tensions régionales critiques, notamment le fait que l'armée égyptienne ne respecterait plus les accords de Camp David et aurait remilitarisé et refortifié les zones du Sinaï proches d'Israël, une situation qui « inquiète le gouvernement israélien ». Par ailleurs, le modèle de paix israélien s'exporte : le président d'Argentine, Milei, a exprimé le souhait de développer des accords extra pour l'Amérique du Sud sur le modèle des Accords d'Abraham, marquant un rapprochement vers Israël.
 
L'intervention s'est achevée sur la conviction que la seule voie durable pour la région est d'adopter une solution régionale, car le Moyen-Orient ne peut tolérer une solution globale.