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Afrique et Métaux Justice minérale : la richesse là où on l’extrait ! Tribune libre d'Alexandre Marciel

« Quand l’Afrique s’éveillera, le monde tremblera ». Après la Chine, c’est au tour de l’Afrique, longtemps oubliée, de faire parler d’elle dans ce siècle. Et ce n’est que justice !


Jacqueline Sala
Dimanche 21 Septembre 2025


La géopolitique, c'est l'articulation entre l'espace et le pouvoir. Et aujourd'hui, le sous-sol africain en est le coeur battant. Car, là où se trouvent les minerais se concentrent les enjeux géopolitiques. L'Afrique entend devenir le nouveau centre de gravité



Des métaux africains dans nos cartes électroniques.
Des métaux africains dans nos cartes électroniques.

Quand l’Afrique s’éveillera …

Quand l’homme politique et écrivain français, M. Alain Peyrefitte, écrit son best-seller, il y a près d’un demi-siècle (en 1973), « Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera », il voit juste. Sans trop se tromper, on peut dire aujourd’hui la même chose à propos de l’Afrique.
Pourtant, c’est un lieu commun de rappeler que loin d’être un no-man’s land ce continent est le berceau de l’Humanité. Mais aujourd’hui, l’Afrique a un nouveau projet planétaire et civilisationnel …

Pour gagner la bataille face à l’explosion de sa démographie (qui va plus que doubler d’ici à 2050) et à la nécessité d’améliorer les conditions de vie de ses habitants (la sous-alimentation touche près de 20% des habitants), l’Afrique a des atouts : jeunesse laborieuse, culture de la solidarité (…) et des richesses naturelles considérables … Ce n’est pas un hasard si l’Afrique est convoitée par les grandes puissances comme la Chine, les Etats-Unis et la Russie.
 
Un tiers des réserves mondiales de métaux en Afrique.
Un tiers des réserves mondiales de métaux en Afrique.

Une accélération de l’Histoire

Après des décennies de prédation de ses ressources naturelles par des puissances étrangères, des dirigeants du continent et représentants de l’Union africaine (UA) ont fait une déclaration commune il y a quelques jours, avec comme projet de créer une «stratégie africaine pour les minéraux verts ».

Les objectifs sont : « promouvoir une coopération régionale stratégique et durable, soutenir la création de valeur ajoutée » mais aussi la demande « d’engagements et de partenariats internationaux plus forts pour combler le déficit de financement et soutenir l’adaptation, la résilience et le développement durable ».

Cette décision intervient alors que Washington conteste le quasi-monopole actuel de la Chine et cherche à s’approvisionner en minéraux stratégiques en République Démocratique du Congo (RDC).
 

La malédiction des ressources

Le germanium africain est au coeur de la fibre optique et d'optiques militaires
Le germanium africain est au coeur de la fibre optique et d'optiques militaires
La malédiction des ressources naturelles concerne ces pays disposant de ressources naturelles abondantes mais qui subissent la corruption, des conflits, sans bénéficier d’une quelconque prospérité.

L'Afrique détiendrait environ 60 types de minerais différents, totalisant un tiers des réserves minérales mondiales essentiels à la transition énergétique, et pourtant 600 millions d'Africains n'ont pas accès à l’électricité, un comble !!! Avec le développement des technologies numériques et bas-carbone, l’Afrique est tristement connue depuis des années pour ses « minerais de sang » et ses guérillas.

Apoli Bertrand Kamenini, auteur d’un livre remarquable « Minerais stratégiques, Enjeux africains » , parle lui de « minéraltropismes conflictogènes ». Il démontre à travers cette étude pionnière que derrière les façades ethnico-culturelles, trop souvent privilégiées  comme explications, le déclenchement des conflits en Afrique s'articulent avant tout avec les avancées technologiques au service de nos normes occidentales et donc le contrôle violent des minerais au service de ces technologies (…), à l’image des pots catalytiques et des platinoïdes d’Afrique du Sud et de bien d’autres exemples qui sont décrits.

Un tiers des réserves mondiales

L'Institut International pour le Développement Durable estime que le continent disposerait de 90 % des réserves de platinoïdes, 80% du coltan, 60 % de cobalt, 70 % du tantale, 46 % des réserves de diamant, 40 % des réserves aurifères et 10 % des réserves pétrolières.

La République Démocratique du Congo est le premier producteur mondial de cobalt (70 %) et le troisième de cuivre. L’Afrique du Sud est le premier producteur mondial de platine (73 %) et de palladium (43 %), de manganèse (37 % et avec le Gabon 55 %). Madagascar et Mozambique sont respectivement les deuxième et troisième producteurs mondiaux de graphite.

La République de Guinée est le deuxième producteur mondial de bauxite (aluminium). Et même concernant le lithium, on estime que l'Afrique atteindra 30 % de l'approvisionnement mondial en lithium d'ici 2035 avec le Zimbabwe, le Mali, la RDC, le Ghana  …
 

Prédominance chinoise

En matière d'accès aux métaux critiques de l'Afrique, la Chine a une longueur d'avance considérable sur l'Occident. Depuis l’an 2000, la Chine a signé 19 partenariats miniers. A travers le projet des « Nouvelles Routes de la Soie » lancée en 2013, elle a mis en place des « contrats dits de troc » de type infrastructures contre concessions minières. La Chine est ainsi devenue le premier banquier du continent africain devant l’Union européenne et contrôle grâce à cette stratégie 72 % de la production de cobalt et de cuivre en RDC, une partie de la production de platine en Afrique du Sud …

Les Etats-Unis peinent à prendre des parts de marchés en Afrique. Lancée en 2022 par les Etats-Unis, le Mineral Security Partnership (MSP) est une initiative internationale (avec comme partenaire notamment la France) ayant pour objectif de sécuriser ses approvisionnements en métaux critiques face à la Chine. Le MSP appuie notamment le financement du corridor de Lobito, un chemin de fer pour exporter le cobalt de RDC et le cuivre de Zambie via l’Angola. La présence américaine se cantonne pour l’essentiel à la RDC et à la Zambie.
 

Quelle place pour l’Europe ?

Exposition de l'auteur de cette tribune que découvrent des représentants de l'industrie minière de RDC
Exposition de l'auteur de cette tribune que découvrent des représentants de l'industrie minière de RDC
Dans ces « accords de troc » avec la Chine, le peuple africain est souvent perdant tant en terme de développement social que de prospérité (la chaîne de valeur en Afrique se limitant à l’extraction minière).

L’Union Européenne a lancé en 2021 son initiative de Global Gateway visant à mobiliser plus de 300 milliards d’euros d’investissements publics et privés hors UE d’ici à 2027, dont 150 milliards pour l’Afrique. Elle a fait adopter en 2023 son règlement le Critical Raw Materials Act visant à sécuriser les approvisionnements de ses états membres en métaux critiques, en diversifiant ses sources d’approvisionnements notamment avec l’Afrique.

A travers ces orientations politiques, l’Union Européenne propose aux pays africains une alternative crédible et durable à la Chine avec un partenariat gagnant-gagnant : création de valeur ajoutée locale, formation d’ingénieurs et de techniciens, normes environnementales et sociales (ESG) … Bruxelles multiplie la signature de partenariats stratégiques avec des pays africains, la Namibie, la RDC, la Zambie, le Rwanda, d’autres discussions sont en cours avec le Maroc, la Guinée, l’Angola, le Mozambique.
 

Quelle place pour le France ?

Historiquement très présente en Afrique via ses anciennes colonies, la France a longtemps été active dans l’exploitation minière et la transformation des ressources naturelles en Afrique. L’extraction d’uranium au Niger par Areva / Orano a longtemps été le symbole de cette présence. La France a perdu du terrain en Afrique face à une Chine très agressive dans le financement et l’implantation rapide de projets miniers, la Russie notamment en Afrique centrale et sahélienne, le Canada, l’Australie …

L’entreprise française Eramet reste un des acteurs les plus dynamiques aujourd’hui en Afrique, notamment au Gabon en tant que leader mondial de la production de manganèse mais aussi au Sénégal avec le titane et le zircon ...

Par ailleurs, la France jouit d’une expertise géologique reconnue grâce à son Bureau de Recherches Géologiques et Minières (le BRGM). Le BRGM joue déjà un rôle clé en amont de nombreux projets : prospection, appui technique, gouvernance minière, gestion des ressources mais aussi formations … Un seul exemple : le programme PanAfGeo coordonné par le BRGM a permis de former près de 1750 géoscientifiques africains issus de tous les pays d'Afrique dans plusieurs domaines des géosciences.
 

A propos d'Alexandre Marciel

UKRAINE. "Morts pour des métaux stratégiques ?" Par Alexandre Marciel
 
Ancien journaliste,  conseiller politique  et adjoint au maire de Toulouse, Alexandre Marciel  a développé ces dix dernières années une véritable expertise dans le domaine des matériaux avancés et des métaux stratégiques.  Il accompagne des entreprises et des institutions.  Il intervient  régulièrement  auprès de différents publics sur le thème "De l'objet au minerai", en s'appuyant sur la matériauthèque inédite qu'il a constituée (plus de 3 000 matériaux / métaux / minerais).  Après un premier livre de vulgarisation scientifique sur les éléments du tableau périodique et leurs applications " Le chasseur d'atomes ", (az'Art Ateliers Editions), il vient de sortir un nouveau livre dédié aux matériaux de la transition énergétique "Mendeleïev au cœur des énergies, Enjeux stratégiques des éléments" (Éditions Cépaduès).  Il prépare actuellement un rapport national  sur les enjeux de sécurisation de nos approvisionnements en métaux stratégiques.