STRATEGIES

Le tarif comme révélation : l'Amérique de Trump face au miroir de son déclin. Guiseppe Cagliano


Jacqueline Sala
Jeudi 8 Mai 2025


Le retour fracassant du protectionnisme tarifaire américain n'est pas un accident, mais le symptôme d'une rupture. Trump l'incarne avec brutalité, Biden l'a préparée avec méthode. Ensemble, ils signent la fin du siècle américain.



Le tarif comme révélation : l'Amérique de Trump face au miroir de son déclin. Guiseppe Cagliano

Un coup de tonnerre tarifaire qui frappe alliés et adversaires

Le 1er mars 2025, le président américain Donald Trump et son colistier J.D. Vance humilient publiquement Volodymyr Zelens'kyj à Washington. Une semaine plus tard, dans une manœuvre digne d'une guerre économique, Trump annonce des droits de douane sans précédent : 25 % sur toutes les importations du Mexique et du Canada (10 % sur le pétrole canadien), et 10 % supplémentaires sur les produits chinois, déjà lourdement taxés. Une taxe identique de 25 % menace les importations européennes, malgré un déséquilibre commercial modéré.

Dans un style proprement trumpien, le président suspend temporairement les taxes pour le Canada et le Mexique, le temps d'en mesurer l'effet. Celui-ci est immédiat : contre-mesures chinoises de 15 % sur les produits agricoles américains ; ripostes tarifaires du Canada (130 Mds$) et du Mexique ; chute des bourses mondiales ; inquiétudes sur la fiabilité du dollar comme valeur refuge.
 

La sécurité nationale comme prétexte stratégique

Ces mesures sont justifiées par des « menaces extraordinaires » : immigration illégale, crise des opioïdes (fentanyl), dépendance industrielle. Mais en réalité, ces taxes universelles bouleversent l'architecture commerciale mondiale. Les exonérations partielles (voitures et pétrole canadien à 10 %) visent à protéger certains secteurs sensibles : les constructeurs américains dépendent fortement de composants mexicains, et le Canada fournit 60 % du brut importé par les États-Unis.
 
Le Mexique, en revanche, dépend à 70 % du gaz américain : un levier stratégique pour Washington. De même, le nickel et l'aluminium canadiens (50 à 60 % des importations américaines) sont difficilement substituables. L'Indonésie est sous contrôle chinois ; l'Ukraine promet plus qu'elle ne peut livrer ; la Russie est sous sanctions ; la Chine est l'ennemi désigné.

Un coût social et fiscal considérable

Les droits de douane sont, en pratique, une taxe sur la consommation. Leurs coûts sont répercutés sur les ménages : +1200$ par an pour les familles américaines moyennes. L'effet est double : hausse des prix des produits importés et des produits nationaux concurrents, avec un impact plus lourd pour les ménages modestes. En cas de succès, les bénéfices doivent financer la relance industrielle et l'emploi. Mais pour de nombreux biens (agroalimentaire, minerais), les États-Unis ne peuvent tout simplement pas produire localement à des prix compétitifs.

Fiscalement, les recettes douanières ne peuvent compenser les déficits abyssaux : en 2024, le gouvernement fédéral a collecté 2500 Mds$ d'impôts sur les revenus, contre un déficit budgétaire de 1830 Mds$. Il faudrait une taxe douanière de 80 % pour couvrir un tel écart – une folie économique.
 

Une fuite en avant idéologique et électorale

Pourquoi persister ? Parce que cela paie politiquement.
Trump incarne une vision simple, directe, « anti-système », qui séduit un électorat lassé. Le protectionnisme devient une idéologie : faire de la guerre tarifaire une croisade pour restaurer la grandeur nationale. Trump exploite pleinement, voire dépasse, les pouvoirs présidentiels élargis depuis Roosevelt (1934), Kennedy (1962) et consolidés par le Congrès. Le paradoxe : les Républicains, naguère défenseurs du libre-échange, sont devenus les chantres du tarif comme arme identitaire.

Biden, le faux modéré, le vrai continuateur

Joe Biden, lui, n'a signé aucun accord commercial majeur, une première depuis Kennedy. Il ajoute à l'arsenal tarifaire un régime de sanctions étendu (Russie) et des restrictions technologiques (Chine). C'est une stratégie bipartisane : réindustrialiser, restreindre la mondialisation, rebattre les cartes du leadership économique. Cette inflexion, théorisée par Robert Lighthizer, Katherine Tai et Jake Sullivan, prépare le terrain à la brutalité de Trump 2.0.

Le retour de l'Empire instable : quand l'hégémonie devient coercition

L'histoire montre qu'un ordre commercial mondial stable exige une puissance organisatrice.
Le Royaume-Uni a échoué dans ce rôle après 1919, provoquant la Grande Dépression. Depuis 1945, les États-Unis ont joué ce rôle... jusqu'à aujourd'hui. L'abandon progressif de cette mission par Washington engendre un vide de pouvoir que ni l'Union Européenne, ni la Chine ne sont prêtes à combler. Pékin, en particulier, poursuit une stratégie déflationniste qui alimente les tensions globales.
 

L'arme tarifaire comme outil géopolitique global

Les droits de douane ne servent plus seulement à équilibrer les échanges, mais deviennent un instrument de coercition. Ils sont appliqués non seulement contre les rivaux (Chine, Russie, Iran), mais aussi contre les alliés : Canada, Mexique, Union Européenne. Cette extension menace de fracturer l'ordre occidental. Le cas mexicain est emblématique : après avoir coopéré activement sur la migration et les drogues, le Mexique se voit puni. Sa présidente Claudia Sheinbaum évoque ouvertement l'idée de diversifier ses partenaires – comprendre : se tourner vers la Chine.
 

Conclusion : une Amérique plus seule, plus dure, plus fragile

L'Amérique ne stabilise plus le monde, elle le secoue. Les taxes douanières généralisées sont le symptôme d'une superpuissance en retrait, usant de la force pour compenser son isolement stratégique. Elles aggravent les tensions commerciales, précarisent les chaînes d'approvisionnement, accélèrent la fragmentation des alliances.
 
Ce n'est plus un leadership, mais une domination par défaut. Une hégémonie sans projet, défensive, vindicative. Et dans ce climat orageux, chacun s'interroge : que reste-t-il de l'Occident lorsque son pilier central choisit la fermeture au lieu du lien, la taxe au lieu du traité, la confrontation au lieu de la vision ?

Ecoutez !


The text analyzes the return of American tariff protectionism under the Trump and Biden administrations, viewing it as a symptom of the decline of American hegemony. It describes the new tariffs imposed not only on adversaries like China, but also on allies like Canada and Mexico, explaining that they are justified by national security pretexts but actually serve to disrupt the global trade architecture. The author highlights the social and fiscal costs of these measures, as well as their ideological and electoral motivations. Finally, the text concludes, as we see every day, that this policy leads to a more isolated America and an unstable world order.

A propose de Guiseppe Gagliano

Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE)
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/

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