STRATEGIES

Hongrie, Shell et le gaz russe : la difficile transition énergétique européenne

Par Giuseppe Gagliano, Cestudec


Jacqueline Sala
Samedi 20 Septembre 2025


L'Europe se trouve à un carrefour : diversification et transition écologique d'un côté, sécurité énergétique de l'autre. La Hongrie sert de test : si Bruxelles n'est pas en mesure de créer des interconnexions et des mécanismes de solidarité, les pays les plus exposés pourraient ralentir le processus, laissant à Moscou des marges de manœuvre. En toile de fond, l'ouverture du marché chinois aux obligations russes crée une triangulation inédite qui unit intérêts financiers et géopolitiques : Pékin finance Moscou, Moscou fournit de l'énergie à ceux qui sont prêts à défier les sanctions, et l'Europe risque de payer le prix d'une transition trop rapide.



Hongrie, Shell et le gaz russe : la difficile transition énergétique européenne

Budapest entre Bruxelles et Moscou

L'accord décennal signé par Budapest avec Shell pour la fourniture de 2 milliards de mètres cubes de gaz à partir de 2026 constitue un pas symbolique vers la diversification énergétique, mais ne marque pas une rupture avec Moscou. La Hongrie reste liée au contrat de long terme avec Gazprom (4,5 milliards de mètres cubes par an jusqu'en 2036), complété par des achats supplémentaires depuis 2022. Peter Szijjarto a réaffirmé que la transition imposée par Bruxelles restait un « risque pour la sécurité énergétique », dénonçant l'absence d'infrastructures suffisantes pour accéder à d'autres marchés.

Le contexte européen

L'Union européenne vise à éliminer les importations de combustibles fossiles russes d'ici 2027-2028.
Pour Budapest, cet objectif est problématique : le pays est géographiquement enclavé et dépend du gaz russe pour sa base industrielle. Sans mécanismes de compensation adéquats, le coût de la diversification risque de peser entièrement sur les économies les plus fragiles d'Europe centrale. Il n'est donc pas surprenant que la Hongrie reste réticente face aux plans d'embargo total, d'autant que certains partenaires continuent d'acheter du pétrole russe par des voies indirectes.

L'option nucléaire

Le gouvernement de Viktor Orbán mise sur le nucléaire comme solution structurelle : deux nouveaux réacteurs, s'ils sont achevés au cours de la prochaine décennie, pourraient couvrir jusqu'à 70 % des besoins en électricité et réduire de moitié les importations de gaz. Mais il s'agit d'un projet de long terme, avec des risques de retards et de hausse des coûts. En attendant, la Hongrie demeure exposée aux fluctuations des prix de l'énergie et aux pressions géopolitiques.

Chine et Russie : la voie de l'Est

Alors que la Hongrie tente de s'ouvrir à l'Occident, la Russie consolide son partenariat oriental.
Pékin a annoncé qu'elle ouvrirait son marché obligataire aux grandes compagnies énergétiques russes pour la première fois depuis 2017. L'émission de « panda bonds » en yuans permettrait à Gazprom, Rosatom et d'autres sociétés d'accéder à des capitaux vitaux, contournant ainsi le blocage des marchés occidentaux.
La note AAA attribuée à Gazprom par l'agence chinoise CSCI Pengyuan est un signal politique : la Chine parie sur la résilience du géant énergétique russe, malgré ses pertes de parts de marché en Europe (de 180 à moins de 50 milliards de mètres cubes vendus chaque année).

Le gazoduc Power of Siberia 2

Lors de la visite de Vladimir Poutine à Pékin, Gazprom a annoncé un mémorandum pour le gazoduc Power of Siberia 2, qui relierait la Sibérie occidentale à la Chine. Bien que la partie chinoise n'ait pas encore confirmé formellement l'accord, le projet renforce la perspective d'une Asie de plus en plus centrale dans la stratégie énergétique russe.
Dans un contexte de décarbonation progressive de l'Europe, Moscou accélère son pivot vers l'Est, au risque de consolider la dépendance de Budapest et d'autres pays de l'UE toujours liés aux approvisionnements russes.

Scénarios stratégiques

L'Europe se trouve à un carrefour : diversification et transition écologique d'un côté, sécurité énergétique de l'autre. La Hongrie sert de test : si Bruxelles n'est pas en mesure de créer des interconnexions et des mécanismes de solidarité, les pays les plus exposés pourraient ralentir le processus, laissant à Moscou des marges de manœuvre. En toile de fond, l'ouverture du marché chinois aux obligations russes crée une triangulation inédite qui unit intérêts financiers et géopolitiques : Pékin finance Moscou, Moscou fournit de l'énergie à ceux qui sont prêts à défier les sanctions, et l'Europe risque de payer le prix d'une transition trop rapide.

A propos de l'auteur

Vers un nouvel ordre numérique ? GAFAM sous pression, souveraineté européenne en question.
Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE).
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
La responsabilité de la publication incombe exclusivement aux auteurs individuels.

Sources