
Une riposte économique calibrée
L'annonce du ministère chinois du Commerce s'inscrit dans une stratégie méthodique, visant à opposer des contre-mesures ciblées aux politiques de sanctions occidentales. Ce geste est tout sauf symbolique : il redéfinit les lignes d'influence économiques, industrielles et sécuritaires entre Pékin et les acteurs stratégiques occidentaux.
Les sociétés concernées sont pour la plupart des acteurs clés de l'appareil de défense américain : Dedrone by Axon, DZYNE Technologies, Elbit Systems of America, Epirus, AeroVironment, Exelis, Alliant Techsystems Operations, Teledyne FLIR, VSE Corporation, Cubic Global Defense et Recorded Future. À celles-ci s'ajoutent la britannique BAE Systems et les canadiennes Halifax International Security Forum et TechInsights. Toutes sont désormais interdites d'activités commerciales et d'investissements sur le territoire chinois.
La stratégie de Pékin : souveraineté et contre-sanctions
Pékin justifie cette mesure par la nécessité de protéger sa souveraineté nationale, ses intérêts stratégiques et son développement technologique. Le ministère du Commerce invoque les lois sur le commerce extérieur, la sécurité nationale et la lutte contre les sanctions étrangères pour légitimer cette contre-offensive réglementaire. La Chine ne se contente plus de dénoncer les sanctions occidentales : elle les retourne contre leurs initiateurs.
L'interdiction faite aux entreprises et particuliers basés en Chine de coopérer avec les entités inscrites sur cette liste ajoute une couche coercitive supplémentaire. En pratique, il s'agit d'un gel total de leurs activités dans un marché stratégique de 1,4 milliard de consommateurs et, surtout, d'un écosystème industriel et technologique en rapide expansion. Pékin envoie un message clair : la Chine n'est plus un terrain neutre mais un acteur de puissance qui impose ses propres lignes rouges.
Un signal géoéconomique aux États-Unis et à leurs alliés
Cette initiative s'inscrit dans un contexte de confrontation structurée entre les États-Unis et la Chine, où la compétition militaire se double d'une rivalité économique systémique. Les entreprises ciblées appartiennent à des secteurs sensibles : renseignement, technologies de surveillance, drones, systèmes de défense, analyse stratégique. Leur rôle dans la chaîne logistique de la puissance militaire occidentale est central. En les excluant de son marché, Pékin ne cherche pas seulement à se protéger, mais à peser sur l'équilibre stratégique global.
Cette stratégie rappelle les méthodes étudiées à la École de guerre économique : il ne s'agit pas seulement de réagir, mais de modeler le rapport de force par la maîtrise des flux économiques et technologiques. Là où les États-Unis utilisent les sanctions comme arme d'influence mondiale, la Chine construit une contre-architecture juridique et économique.
Redéfinition des chaînes de valeur stratégiques
Au-delà de l'effet immédiat sur les entreprises sanctionnées, cette mesure participe à une reconfiguration silencieuse des chaînes de valeur. Les grands groupes occidentaux sont confrontés à un dilemme : accepter des restrictions en Chine ou repenser leurs stratégies industrielles à l'échelle mondiale. Les secteurs de la défense, de l'aéronautique, des technologies de surveillance et de la cybersécurité sont particulièrement exposés.
Ce processus s'inscrit dans une logique plus large d'autonomisation technologique de la Chine, qui accélère ses programmes de R&D dans l'intelligence artificielle, la robotique militaire et les capteurs de surveillance avancés.
En coupant les canaux de dépendance occidentale, Pékin renforce son souverainisme industriel, une démarche comparable à celle qu'elle observe chez Washington depuis la mise en œuvre du CHIPS and Science Act.
En coupant les canaux de dépendance occidentale, Pékin renforce son souverainisme industriel, une démarche comparable à celle qu'elle observe chez Washington depuis la mise en œuvre du CHIPS and Science Act.
Vers une architecture multipolaire de la guerre économique
Cette décision révèle une tendance lourde : l'économie mondiale se fragmente en blocs techno-stratégiques rivaux.
Les États-Unis cherchent à verrouiller les chaînes d'approvisionnement occidentales autour de leur système normatif et sécuritaire ; la Chine réplique en consolidant un espace économique autonome, relié à ses partenaires des BRICS et à de nouvelles alliances asiatiques, africaines et latino-américaines.
Les États-Unis cherchent à verrouiller les chaînes d'approvisionnement occidentales autour de leur système normatif et sécuritaire ; la Chine réplique en consolidant un espace économique autonome, relié à ses partenaires des BRICS et à de nouvelles alliances asiatiques, africaines et latino-américaines.
Dans ce bras de fer, la capacité à contrôler les flux d'innovation et d'investissement devient une arme aussi déterminante que les capacités militaires classiques. Pékin n'agit pas dans l'improvisation : elle structure méthodiquement une stratégie d'endiguement inversée. Cette approche consiste à créer des effets de levier géoéconomiques pour affaiblir la domination occidentale sur les infrastructures critiques de la défense et de la sécurité.
Une nouvelle étape dans la guerre économique globale
En inscrivant ces quatorze entreprises sur sa liste noire, Pékin assume pleinement son rôle d'acteur offensif dans la guerre économique globale. La Chine n'est plus un simple récepteur des sanctions : elle impose ses propres règles, trace ses lignes rouges et impose un coût stratégique à ceux qui cherchent à l'isoler. Cette évolution modifie profondément la dynamique du rapport de force international.
Ce n'est donc pas seulement un affrontement technologique : c'est la construction d'un nouvel ordre économique multipolaire dans lequel chaque bloc tente d'imposer ses normes et de protéger ses intérêts vitaux. Un ordre où, pour reprendre la logique harbulotienne, la souveraineté économique redevient un instrument central de puissance et de sécurité nationale.
A propos de Giuseppe Gagliano
Giuseppe Gagliano a fondé en 2011 le réseau international Cestudec (Centre d'études stratégiques Carlo de Cristoforis), basé à Côme (Italie), dans le but d'étudier, dans une perspective réaliste, les dynamiques conflictuelles des relations internationales. Ce réseau met l'accent sur la dimension de l'intelligence et de la géopolitique, en s'inspirant des réflexions de Christian Harbulot, fondateur et directeur de l'École de Guerre Économique (EGE).
Il collabore avec le Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R) (Lien),https://cf2r.org/le-cf2r/gouvernance-du-cf2r/ et avec l'Université de Calabre dans le cadre du Master en Intelligence, et avec l'Iassp de Milan (Lien).https://www.iassp.org/team_master/giuseppe-gagliano/
La responsabilité de la publication incombe exclusivement aux auteurs individuels.