Intelligence des risques

 De Pékin aux marchés mondiaux  : l’impact des nouvelles restrictions chinoises sur les terres rares


Jacqueline Sala
Mardi 14 Octobre 2025


Le 9 octobre, Pékin a frappé fort : le ministère de l’Économie a annoncé des restrictions inédites sur l’exportation de terres rares et de matériaux clés pour les batteries. Qui est visé, quelles conséquences, quelles parades ? Comment comprendre une annonce aux répercussions mondiales.



 De Pékin aux marchés mondiaux  : l’impact des nouvelles restrictions chinoises sur les terres rares

Maîtrise de l'ensemble de la chaîne : de l'extration à la de transformation

Les terres rares sont devenues incontournables : elles alimentent aussi bien les technologies vertes, comme les véhicules électriques et les éoliennes, que les innovations de pointe, des semi-conducteurs aux micropuces, sans oublier les systèmes d’armement avancés. Autrement dit, notre monde moderne ne peut fonctionner sans elles.

En 2023, la Chine assurait près de 70 % de la production mondiale de minerais de terres rares, loin devant les États-Unis, la Birmanie et l’Australie.
Mais c’est surtout dans les étapes de transformation que Pékin impose sa suprématie : alors que l’extraction ne suffit pas et qu’il faut séparer, purifier puis raffiner chaque élément, la Chine demeure le seul pays à maîtriser l’ensemble de la chaîne. 

Les États-Unis comme l’Australie, incapables de finaliser seuls ce processus, expédient d’ailleurs une partie de leurs minerais semi-transformés vers la Chine pour y être raffinés.
Résultat : Pékin fournit aujourd’hui l’immense majorité des terres rares légères purifiées utilisées dans le monde, et conserve un monopole absolu sur les terres rares lourdes.

Produits à haute valeur ajoutée

En trois décennies, la Chine a pris le contrôle de toute la chaîne de valeur des terres rares, de l’extraction au raffinage, jusqu’à la fabrication des aimants. Selon Huang Xiaowei, académicien à l’Académie chinoise d’ingénierie, la Chine a su tirer parti des spécificités de ses ressources en terres rares pour mettre au point des technologies d’extraction et de séparation de pointe, aujourd’hui largement déployées dans toute l’industrie.

Dans les années 1990, ce savoir-faire appartenait encore aux États-Unis et au Japon. Mais le rachat de Magnequench, filiale de General Motors, par des groupes chinois en 1997, puis la dépendance des industriels japonais aux approvisionnements venus de Pékin, ont permis à la Chine de capter les technologies manquantes.

Depuis, elle ne se contente plus d’exporter des minerais : elle les transforme en produits à haute valeur ajoutée, des aimants aux moteurs électriques. En 2019, elle assurait déjà 92 % de la production mondiale d’aimants permanents aux terres rares et s’impose désormais sur le marché des véhicules électriques, y compris en Europe.

 

Equilibrer les marchés

Face au monopole chinois sur les terres rares, deux pistes se dessinent. La première, immédiate, consiste à réduire la consommation, notamment grâce à l’écoconception, quitte à accepter une baisse de performance pour certains usages. La seconde repose sur le développement d’acteurs industriels à différents maillons de la chaîne de valeur, afin de créer une concurrence capable de limiter l’emprise de Pékin. C’est précisément l’ambition du Critical Raw Material Act, adopté par l’Union européenne en 2024, qui vise à rééquilibrer les marchés en diversifiant les sources et en renforçant l’autonomie stratégique.

Mais ces objectifs sont loin d'être atteints.

 

Entrée en vigueur le 8 novembre.

Le 9 octobre, Pékin a franchi une nouvelle étape dans sa stratégie de contrôle des matériaux critiques. Le ministère chinois de l’Économie a instauré un principe d’extraterritorialité : désormais, tout bien intégrant des terres rares ou des aimants d’origine chinoise, même fabriqué à l’étranger, sera soumis à autorisation avant exportation. Cette décision marque un pas supplémentaire dans l’emprise de Pékin sur toute la chaîne de valeur, des terres rares aux batteries , et entrera en vigueur le 8 novembre.

La liste des produits visés est large : équipements nécessaires au raffinage et au recyclage des terres rares, pièces de rechange, solvants chimiques, mais aussi transferts de savoir-faire technique, de l’assemblage à la maintenance des lignes de production. Cinq nouveaux éléments – holmium, erbium, thulium, europium et ytterbium – rejoignent par ailleurs les matières premières déjà soumises à restrictions.

 

Une décision lourde de conséquences économiques, technologiques et géopolitiques

La décision de Pékin a des répercussions qui dépassent largement ses frontières et pèsent à la fois sur l’économie mondiale et sur la France.

En restreignant l’accès aux terres rares et aux technologies qui en dépendent, la Chine fragilise les chaînes d’approvisionnement et impose aux industriels de nouvelles contraintes administratives, sources de coûts supplémentaires et d’incertitudes. Ce durcissement s’inscrit dans une logique de rapport de force géopolitique : Pékin utilise son quasi-monopole comme levier diplomatique, alimentant la rivalité avec Washington et incitant les grandes puissances à chercher des alternatives, qu’il s’agisse de substitution, de recyclage ou de relocalisation industrielle.

 

Pour la France, les enjeux sont tout aussi sensibles. Les secteurs stratégiques – automobile, aéronautique, défense, énergies renouvelables – dépendent directement de ces matériaux critiques. La transition écologique, qui repose sur les batteries et les éoliennes, pourrait être ralentie par une hausse des prix ou des difficultés d’approvisionnement. Mais cette contrainte ouvre aussi une fenêtre d’opportunité : grâce au Critical Raw Materials Act adopté par l’Union européenne en 2024, Paris peut espérer stimuler des filières locales d’extraction, de recyclage et de transformation, notamment dans le domaine des aimants et des batteries. Reste que la dépendance ne se limite pas aux matières premières : la Chine verrouille également le savoir-faire industriel, de la maintenance aux procédés chimiques, ce qui réduit la marge de manœuvre française.

Mais nous sommes loin d'être les seuls. Les Pays-Bas occupe une position stratégique dans la chaîne des semi-conducteurs — notamment via ASML — ce qui les place en première ligne. L’obligation de licence pourrait affecter les exportations européennes intégrant des composants chinois, même fabriqués localement. Une onde de choc qui n'est plus silencieuse, mais potentiellement décisive pour la souveraineté.technologique européenne.


En définitive, cette annonce agit comme un coup de semonce : elle rappelle la vulnérabilité immédiate des économies occidentales face à Pékin, tout en accélérant la nécessité pour la France, l’Europe et les Etats-Unis de bâtir une véritable autonomie industrielle et énergétique.

- Restrictions à l’exportation des terres rares et droits de douane : comprendre l’escalade entre la Chine et les États-Unis. Lien Le Grand Continent

- Tout comprendre aux annonces de la Chine sur les terres rares. Lien L'Express