Intelligence des Risques

16ème forum européen IES sur le thème “L’Intelligence Économique et Stratégique dans le monde d’après”


David Commarmond


Le 16ème forum européen IES s’est déroulé à Saclay les 23 et 24 novembre 2022 sur le thème “L’Intelligence Économique et Stratégique dans le monde d’après” autour de la question de l’adaptation de cette discipline et de ses acteurs aux évolutions du monde et aux nouveaux enjeux qui en découlent.



Les locaux Safran Tech - inaugurés en 2015 et entièrement dédiés à la recherche, l’innovation et l’ingénierie -  ont offert un cadre en accord avec le thème pour le Forum IES 2022 qui a réuni sur deux jours près de 170 participants, tant professionnels, universitaires, qu'étudiants.

Orchestré par Michel ASSOULINE (Directeur Général de 3AF), Louis LE PORTZ Président de 3AF, inaugure l’événement, suivi par la Présidente du Forum IES : Marie-Ange DELEMOTTE, vice-présidente de la CISP, de Jean-Michel HILLION, Directeur de la Stratégie – SAFRAN et Alain JUILLET (Président d’Honneur de l’Académie d’Intelligence économique).
 
Jean-Michel HILLION a insisté sur l’incertitude du contexte actuel et sur la nécessité de prendre en compte dans la stratégie un très grand nombre de changements qui pourraient survenir dans le monde « d’après » . Il a aussi rappelé toute la pertinence de l’IES pour répondre à ces enjeux.

Alain JUILLET, s'est attaché à  réaffirmer les liens entre IES et prospective et sa pensée stratégique donne un avantage concurrentiel indiscutable. Il en a également profité pour souligner le rôle d’éclaireur et d’informateur de l’analyste dont rien - pas même l’IA - ne peut reproduire l’intuition.



IES, souveraineté et protection des entreprises

Arnaud DE MORGNY, Assistant parlementaire de Mme la Sénatrice
Arnaud DE MORGNY, Assistant parlementaire de Mme la Sénatrice
Jean-Michel HILLION (directeur de la stratégie, Safran) dessine un tableau de l’environnement actuel incertain dans lequel Safran évolue et développe sa stratégie. Cette stratégie repose sur trois piliers : l’innovation, l’environnement et la souveraineté. Il en ressort que l’IES est d’une criticité certaine pour connaître ses forces et faiblesses, mais aussi détecter les risques et les opportunités. Le recours à l’IES est également essentiel pour satisfaire une stratégie défensive de propriété intellectuelle des brevets des entreprises.
 
Didier PATRY, (France Brevets) une stratégie Brevet se nourrit de données économiques et dépend, au premier chef, de la parfaite compréhension de l’écosystème de l’entreprise, de sa chaîne de valeur, mais aussi de celle de potentiels agresseurs pour mener, s’il le faut, une contre-offensive ciblant leurs vulnérabilités. Estelle PRIN (OSC) de l’Observatoire des semi-conducteurs illustre dans son intervention la criticité de nos dépendances pendant la période « Covid » à l’égard de la Chine et plus généralement de l’Asie.
 
Marie-Noëlle LIENEMANN, représentée lors du forum par son attaché parlementaire, ambitionne de pérenniser les structures étatiques d’IE en votant directement ce programme au parlement grâce à une PPL. L’objectif est de créer un Secrétariat général à l’IE auprès du Premier ministre (PM) qui serait chargé de développer tous les aspects de cette discipline. Pour ce faire, chaque ministère compterait un chargé d’IE, dépendant du PM, avec pour mission de vérifier que les ministères appliquent les bonnes pratiques d’IE.
 
Thierry POIGNANT (Thales), rappelle que son entreprise participe pleinement à la souveraineté de la France sur les questions de défense, « la souveraineté française est en effet tributaire de la maîtrise, par les entreprises de défense, de leur environnement stratégique, de leur savoir-faire et de leur modèle industriel».
 
Mais elle n’en a pas le monopole. C’est ce qu’est venu rappeler Pierre-Marie de BERNY (fondateur et dirigeant du cabinet Vélite)  en présentant un outil innovant fondé sur la création d’un indice fondé sur 63 indicateurs visant à classer les groupes du CAC40 (pour le moment) en fonction de leur participation à la souveraineté économique de la France.
 
Jérôme BONDU
(Inter Ligere) a rappelé la dépendance de la France - tant des individus que des entreprises - aux GAFAM et particulièrement aux moteurs de recherche et la faiblesse des solutions alternatives. Soulignant leur caractère particulièrement intrusif, l’absence de transparence des algorithmes qui nous enferme dans une bulle cognitive et une certaine schizophrénie. Or le biais de confirmation est toujours un risque pour les professionnels de l’information. Même si bon nombre d’utilisateurs sont conscients de ces écueils, s’en prémunir est toujours un défi.


Le rôle du veilleur dans le monde d’aujourd’hui et dans le monde d’après

À travers chacune de leurs présentations, les intervenants ont mis en avant un changement fondamental dans la veille, la nécessité d’opérer une montée en gamme afin de passer d’une veille bien souvent technique ou technologique à une veille stratégique qui permettrait d’éclairer les choix de l’entreprise à condition d’être en relation directe avec la direction.
 
Pour y parvenir, nos conférenciers ont bien montré que la plus grande difficulté était de vaincre les silos et d’identifier au sein de l’entreprise l’information essentielle. La première étape, comme l’a bien souligné Emmanuelle MICHALET-HAREL (Vetoquinol), est de se faire connaître et accepter par les différents services afin d’asseoir sa légitimité. La deuxième étape, sur laquelle se sont entendus Jacques LOIGEROT (CETIM) et Gilles RODRIGUEZ (CEA), est le soutien et l’écoute de la direction, de valoriser l’expertise interne en allant chercher les experts au sein de l’entreprise, de faire confiance en leur potentiel et d’en faire des relais d’information qui viendront nourrir les analyses des veilleurs. La troisième et dernière étape est celle du partage de l’information qui demeure encore une dimension profondément humaine.

Un autre constat globalement partagé par tous les  intervenants est celui de l’évolution constante du processus de veille.
 
Une attention particulière doit être donnée en amont au questionnement et à la (re)formulation de la demande cliente (interne ou externe), afin d'éliminer le maximum de non-dits, d'imprécisions, d'incompréhension. Dans ce but, la veille multi-sources - qui croise presse, articles scientifiques, brevets, etc. - apparaît aux yeux de tous comme le moyen le plus efficace pour fournir les meilleures analyses.

IES, brevets, innovation et intelligence technologique

Veille Brevet IES 2022
Veille Brevet IES 2022
Pour Sébastien LEROY (Daher), l’horizon se rapproche très rapidement. 2030 c’est demain et 2040, après-demain. Projeter sur l’avenir des grilles de lecture dépassées est une erreur. La data sera cruciale dans les choix stratégiques effectués. Les technologies évoluent, les attentes des clients aussi. Il s’agira d’être plus transparent, et rendre des comptes plus régulièrement.
 
Jean-Louis LIEVIN (GAC Group) a posé la question de la nature d’une innovation, en soulignant l’importance de la digitalisation comme élément clé de compétitivité. Réduisant le taux d’échec et le temps d’introduction des produits et services sur le marché, la digitalisation de l’innovation n’est plus une option. Remettre en cause l’innovation traditionnelle, basée sur le schéma de l’entonnoir, au profit de la rapidité est désormais crucial.

Toujours dans l’optique de répondre aux besoins d’innovation des entreprises, la classification par l’IA des brevets et publications scientifiques et l’utilisation d’un modèle d’analyse basé sur les mathématiques des graphes transforme des données scientifiques en informations exploitables.

C’est ce qu’est venu exposer François-Xavier MEUNIER (GraphMyTech) en montrant que ces outils facilitent la mesure des forces et faiblesses d’un portefeuille technologique et la simulation de son évolution selon des décisions (investissement, relocalisation, fusions etc.), afin de transformer les bouleversements technologiques en opportunités stratégiques.
 
Anne le Turnier (Lexis Nexis) s’est quant à elle attachée à démontrer l'intérêt de la solution PatentSight, utilisée depuis quatre ans par Valéo, en exposant l’utilité des outils de visualisation pour gérer un portefeuille de brevets. Afin d’augmenter la valeur ajoutée des services d’IE, il est aussi judicieux de combiner les outils de l’IA et de la cartographie. C’est ce qu’a fait Thomas BINANT (GéOtrend) dans une analyse exploratoire de l’informatique quantique où il a structuré des informations nombreuses et complexes (marchés, brevets, acteurs, stratégies et technologies) à travers la plateforme d’aide à la décision GéOtrend. Par ailleurs, Samuel TOCARRUNCHO (Safran) et Nicolas DUBUC (Michelin) ont tous deux rappelé qu’une entreprise ne peut avoir de stratégie sans avoir une connaissance approfondie de son environnement et de son positionnement. La veille brevet est ainsi un élément essentiel pour comprendre les choix stratégiques des concurrents.
 
Pour Jordan JEANBENOIT (Safran Aircraft Engine), cette activité bénéficie des progrès de l’intelligence artificielle. Il note néanmoins que ces outils restent perfectibles dans des contextes professionnels aussi exigeants que l’analyse des brevets. Dès lors, la sémantique et les thésaurus sont essentiels pour identifier des homonymes ou des contresens potentiels. Avec plusieurs milliers de brevets à examiner par jour, l’IA est incontournable pour effectuer cette tâche dans les meilleurs délais, malgré un taux d’inexactitude encore supérieur à 8%.
 
Cependant, l’IA ne sert pas qu’à optimiser une veille brevets. Prenant l’exemple du développement d’un médicament, Guillaume Le LAY  (Questel), a ainsi montré que de dix ans en moyenne pour développer un médicament nous pouvions passer à un peu plus d'un an, l’IA permet d'accélérer les procédures.
 
Dans certaines situations, il n’est pas toujours possible d’être transparent avec un partenaire sur les raisons qui suscitent une collaboration. C’est pourquoi Jonathan LANGLOIS (MBDA) est venu présenter les stratégies de protection de la connaissance déployées par l’industrie de défense afin de concilier ouverture et secret dans l’open innovation. Il s’est ainsi attardé sur des pratiques cognitives qui modifient des énoncés scientifiques, lors de collaborations externes, afin d’altérer la réalité expédiée pour dissimuler la finalité réelle d’un projet, tout en dévoilant assez pour permettre le travail conjoint.

Pour conclure

Les échanges se sont poursuivis, sur un mode plus informel, mais non moins fructueux, dans la soirée du 23 novembre, à l’occasion du dîner organisé au restaurant du Golf La Boulie, agréable moment de convivialité ouvert par Xavier Tytelman (Air & Cosmos).
 
Plus que jamais, l’IES aura toute sa place dans le monde de demain. Une bonne raison de se donner rendez-vous en 2024 pour le prochain forum IES qui se tiendra sous l'égide de la CISP de la 3AF !


Les interviews :

https://www.veillemag.com/Trois-questions-a-Audrey-Knauf-Maitre-de-conference-en-Sciences-de-l-information-et-de-la-communication-a-l-Universite_a4545.html

https://www.veillemag.com/Trois-questions-a-Jerome-Bondu-Consultant-en-Intelligence-economique-directeur-d-Inter-Ligere_a4541.html
https://www.veillemag.com/Trois-questions-a-Estelle-Prin-Consultante-en-Intelligence-economique-CEO-de-l-Observatoire-des-Semi-conducteurs_a4540.html
https://www.veillemag.com/Trois-questions-a-Christian-Langevin-de-QWAM_a4548.html
https://www.veillemag.com/Trois-questions-a-Anne-Le-Turnier-de-LexisNexis%C2%A0-Intellectual-Property-Solutions_a4543.html
https://www.veillemag.com/Trois-Questions-a-Christophe-Bisson-directeur-scientifique-du-MSc-in-International-Strategy-Influence-de-SKEMA_a4547.html
https://www.veillemag.com/Trois-questions-a-Mathieu-Andro-Animateur-de-la-cellule-veille-du-premier-ministre_a4552.html