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Interview de Bruno Wirtz, Mathématicien du réel*


David Commarmond





DC Pouvez-vous vous présenter ?

BW : Normalien, agrégé de mathématiques, maître de conférences en mathématiques à l'Université de Bretagne occidentale (UBO) depuis plus de 20 ans. Je me suis lancé dans l’aventure entrepreneuriale au tournant des années 2000 et je suis devenu cofondateur et conseil scientifique de l'entreprise Tellus-Environment, dans le cadre d’un projet évoluant dans le domaine environnemental. Ma spécialité dans l'entreprise est la modélisation. Cela consiste à confronter différents concepts mathématiques à des problématiques non mathématiques. Les minéraux, l’archéologie et la géophysique par le biais de rencontres sont devenus un nouveau champ d’investigation et d’expérimentation.

DC : Quelles sont les particularités des espaces maritimes ?

BW : Les espaces maritimes ont été pendant longtemps considérés comme inaccessibles et inexploitables en grandes profondeurs car trop coûteux. Aujourd’hui, les technologies permettent l’accès à ces espaces. Ils sont certes hostiles, mais l’arrivée des drones et des robots change beaucoup de choses. Certes, ces lieux deviennent accessibles, mais ils introduisent des points faibles, qui demandent une surveillance constante, car d’autres puissances ou acteurs peuvent aussi y accéder avec des intentions malveillantes. De ce fait, le droit a pris beaucoup de retard. Ce retard est en passe d’être comblé par certains aspects, mais de nombreux pans demeurent encore dépendant d’un droit obsolète comme le droit minier qui en France date toujours des années 50, et matérialise un droit des années 30.

DC : Quel est le lien entre espaces maritimes, câbles sous-marins et droit minier ?

BW : Pour faire des câbles sous-marins, il faut des métaux rares dans le processus de fabrication, les câbles plus courants comprennent de de l’aluminium, du cuivre, du mylar, de la fibre optique. Ces métaux doivent être extraits quelque part. Organisé en marché mondial, pendant près de 50 ans, le libre échange était la règle. Mais la dépendance aux métaux rares qui peuvent être plus chers que l’or ou le platine ont montré les limites du système.
 
Depuis 20 ans, nous assistons à l’évolution d’une géopolitique des métaux rares, où une guerre silencieuse de l’approvisionnement se fait jour.

DC : Pouvez-vous préciser votre point de vue?

BW : En externalisant notre industrie pendant des décennies, nous avons aussi externalisé nos déchets et nos dépendances. La mine, souvent de charbon ou de fer en France, et la filière industrielle de l’acier telle qu’elle était organisée au 19e siècle et au début du 20e siècle polluent énormément. Le droit, les normes qui étaient très laxistes et les différents scandales qui ont suivi et en ont résulté (dioxine, pollutions aux métaux lourds, amiante) ont peu à peu contraint les industriels à délocaliser, sans réellement réussir à mettre en place de véritables filières et techniques de dépollution, ni de réflexion sur l’environnement. Mais la pollution et l’exploitation des minerais n’a été que déplacée dans des pays où les normes de sécurité étaient à géométrie variable. Des pays comme la Chine sont devenus leader dans le domaine, au prix d’un environnement dégradé. Des montagnes sont littéralement pulvérisées pour extraire les minéraux et les terres rares. L’Afrique n’est pas en reste avec l’Afrique du Sud ou la République Démocratique du Congo.
 
Cependant des technologies beaucoup plus propres et plus efficaces existent. Elles ont cependant un coût, elles demandent aussi une expertise scientifique poussée, passant de l’échelle du spatial à l'échelle microscopique pour l'observation, dans le but de cibler au mieux les filons et organiser l’extraction. Car les métaux rares sont aussi lourds et souvent répartis dans des couches profondes. Pour y accéder, il faut enlever toutes les couches superficielles pour y accéder, soit creuser des galeries.
 
En toute logique, pour être responsable et prendre notre part du coût environnemental de notre mode de vie, nous devrions exploiter nos ressources minières sur notre territoire en intégrant bien sûr les dernières technologies, en développant le recyclage des métaux rares pour être moins dépendants et plus économes en énergie. Cela passe par le recyclage des portables, des ordinateurs, des batteries électriques. Ce qui implique de réaliser en amont des filières, des processus de tri, de valorisation afin d’extraire le moins possible de minéraux et en aval de développer des technologies plus économes en matières premières et en énergies. La mise en place d'éoliennes géantes, grandes consommatrices de métaux rares (dans les rotors), doit nous amener à repenser le calcul coût/bénéfice de ces énergies, en intégrant au mieux le coût environnemental de la durée de vie de celles-ci. Comment prolonger leur existence ? Comment les recycler et diminuer leur impact sur l’environnement?
 
Rester sur ce droit obsolète contribue à avoir une vision datée de l’industrie, de la science, à avoir une dépendance toujours plus forte envers l’extérieur, cela décourage l’innovation, fait fuir les financements. En se focalisant sur la France métropolitaine, on en oublie les autres territoires comme la Guyane, les territoires ultra-marins, et les fonds océaniques.
 
Car les minéraux ne sont pas les seuls éléments qui intéressent les puissances, la captation de l’eau douce est un enjeu majeur à moyen terme. On sait aujourd’hui que depuis des milliers d’années s’écoulent dans les océans des fleuves souterrains d’eau douce. Cette eau douce est une alternative aux techniques de dessalement et pourrait permettre de limiter la désertification et la famine dans certains pays où les pluies se font rares. Comme l’exploitation des nodules, l’exploitation de ces nouvelles ressources peuvent avoir un impact sur l’environnement et le développement économique des territoires.

* mathématiques du réel : assemblage de différents concepts et savoirs mathématiques pour résoudre un problème non issu des mathématiques.
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