Carnets de voyage

Les derniers samouraïs, le Chateau Kanazawa et son village des chaumières de Shirakawa-go, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Témoignage.


Eva GESTKOFF—PODZIOUBAN
Lundi 29 Décembre 2025


En cette fin d'année, Veillemag vous propose le carnet de voyage d'Eva GESTKOFF—PODZIOUBAN, étudiante en Master d’études européennes et internationales à la Sorbonne Nouvelle, au pays du Soleil Levant. "J’ai déjà eu l’opportunité de faire un échange à Séoul mais mon rêve était le Japon". Je vous propose de m'accompagner tout au long de mon séjour. Episode 3 : Plongée au cœur de l’antre des samouraïs de Kanazawa et du village des chaumières de Shirakawa-go, classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.



Kanazawa

Crédits photo : Eva GESTKOFF-PODZIOUBAN
Crédits photo : Eva GESTKOFF-PODZIOUBAN
Départ depuis la gare de Tokyo pour Kanazawa, 11h. Première fois pour moi dans celui que l’on ne présente plus : le Shinkansen. Ce train que l’on s’imagine en Occident comme une fusée inarrêtable. Je casse le mythe : le Shinkansen roule à la même allure que nos TGV français, sans oublier que nous détenons le record du monde de vitesse depuis 2007 avec une vitesse de pointe à 574.8 km/h.
Seules différences : son prix qui ne fluctue pas en fonction de l’offre et de la demande, la propreté immaculée du train et le règne du silence.
 
Déjeuner rapide de petits onigiris, sandwichs industriels japonais et café glacé, un homme passe toutes les 10 minutes avec un sac poubelle pour que le train reste d’une propreté exemplaire.
 
Malchance, un bébé pleure, ses parents tentent de l’apaiser avec une vidéo sur un téléphone, le volume au maximum. Un Japonais s’agace, se lève, leur touche deux mots et retourne s’asseoir. La vidéo continue, assourdissante, le Japonais se terre dans le silence et met ses écouteurs.
 
Après avoir rapidement déposé mon bagage à l’hôtel, je me suis hâtée vers le Château de Kanazawa et le jardin Kenroku-en, réputé pour être l’un des plus beaux du Japon.
 
J’avance vers cette plaine tracée au millimètre près qui est d’un vert d’une densité presque irréelle. La lumière du soleil révélait le jardin, ouvrant un seuil discret vers une promenade lente, rythmée par les étangs et les bonsaïs soigneusement taillés. J’ai remarqué la présence d’un héron, debout sur une pierre, maître des lieux.
 
Le Jardin m’invitait à suivre un sentier, dessiné, idéal pour observer chaque détail de ce havre luxuriant. Même avec une chaleur écrasante à la fois humide et étouffante, la beauté de ce lieu hors du temps vous fait oublier le poids du corps et la lenteur des pas. Continuant ma promenade, je franchis de petits ponts japonais de bois clair, délicatement posés pour relier les étangs entre eux. Sous mes pas, l’eau se ride à peine, laissant apparaître des carpes koï aux couleurs éclatantes. Rouge incandescent, noir d’encre, or patiné — ces poissons majestueux glissent avec lenteur, incarnant au Japon la force, la persévérance et la capacité à remonter le courant, envers et contre tout.
 
Ce jardin devient alors un lieu de passage, une respiration silencieuse avant de découvrir une autre facette de la ville, tout aussi raffinée. Kanazawa ne se résume pas à son château ni à son jardin hors du temps. Autour de l’enceinte castrale, l’organisation urbaine héritée de l’époque médiévale évoque Kyoto : une harmonie discrète entre architecture traditionnelle, vestiges anciens et temples disséminés, où le passé continue de dialoguer avec le présent.
 
Kanazawa et ses quartiers disposent d’une élégance japonaise moins connue des touristes. Les maisons de thé, préservées du tumulte moderne, perpétuent l’art de la cérémonie, offrant des instants suspendus où le temps semble se plier au rituel. Au détour de ruelles discrètes, j’ai déniché des endroits surprenants, presque secrets. Férue de matcha, j’ai découvert des mets inattendus tels qu’un tiramisu au matcha au goût intensément herbeux, séduisant pour les amateurs, déconcertant pour les non-initiés. Le matcha gagne à être dégusté dans sa forme la plus pure. Sans sucre ni lait, chaud ou froid, il révèle une force brute, légèrement austère, mais intensément rafraîchissante.

Shirakawa-go

Crédits photo : Eva GESTKOFF-PODZIOUBAN
Crédits photo : Eva GESTKOFF-PODZIOUBAN
Après une nuit de repos bien méritée, réveil à l’aube pour aller découvrir le village des maisons en toits de chaumière : Shirakawa-go. Je me rends à la gare, pensant être dans les premiers, je me suis retrouvée au bout d’une file infinie de touristes. Ils sont tout aussi légitimes que moi. J’ai donc pris mon mal en patience et suis montée dans ce bus avec le sentiment d’être en colonie de vacances. Le taux de touristes est contrôlé car même si le peu d’habitants vit du tourisme, ils aspirent à conserver la sérénité des lieux.
Le bus part, il roule particulièrement vite, ce qui n’était pas pour me rassurer. Le village de Shirakawa-go étant vallonné et enclavé, les routes empruntées pour s’y rendre n’étaient pas de tout repos. La conduite, qui plus est, sous une pluie torrentielle, était par ailleurs totalement maîtrisée.
 
Assise côté fenêtre, j’ai commencé à apercevoir un paysage que je n’avais jamais vu auparavant. C’était indescriptible. Les conifères qui enveloppaient la montagne étaient d’une magnificence inégalable. Ils étaient ornés d’une brume blanche, nette, qui se fondait parfaitement dans leur couleur. J’avais le sentiment d’être face à un chemin naturel qui menait droit au ciel.
 
Une fois arrivés, j’ai tout de suite compris pourquoi le village était classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Ce village était comme suspendu, hors du temps. C’est l’un des trois derniers du pays à avoir des habitations avec des toits de chaumières. Les maisons m’ont étonnée car elles sont très basses. Cependant, en en visitant une, je me suis rendue compte qu’elles étaient très spacieuses. Elles étaient tout en longueur. Le toit était très bas mais il y avait 3 voire 4 étages.
 
Les champs qui les entouraient étaient d’un jaune flamboyant qui s’associaient à un vert intensément vivant.
J’ai eu la chance de pouvoir déguster, après 1h30 d’attente, un repas traditionnel composé de Soba, de soupe et de poisson. C’est un art culinaire ancestral et le Japon est reconnu pour sublimer l’art du simple.
 
J’étais assise à même le sol, face à une très grande table traditionnelle, sur un petit coussin. Une fois le repas terminé, j’ai voulu sortir du site touristique et m’aventurer dans un sentier plus en hauteur pour m’éloigner de l’axe principal. Je ne suis pas phobique des insectes mais quand tous les 2 mètres j’apercevais une araignée de la taille de ma main suspendue au milieu du chemin sur sa toile, j’ai décidé de rebrousser chemin.
 
Le soleil commençait à se coucher et là, plus rien. La ville s’est transformée en havre de paix. Elle était fantomatique, presque effrayante. J’ai hâté le pas pour me rendre à la station de bus, nous n’étions plus que cinq.


Episode 1. Tokyo
Episode 2. Les Onsen
Episode 3. Kanazawa et Shirakawa-go  le village des chaumières.
Episode 4. A venir

A propos de :

Eva Gestkoff — Podziouban  Actuellement en Master d’Études Européennes et Internationales à la Sorbonne Nouvelle, je suis  au Japon pour plusieurs mois  à la Meiji University. C'est une des universités privées les plus prestigieuses du Japon, reconnue pour ses formations en sciences politiques, relations internationales et économie. Située à Tokyo, elle offre un environnement stratégique au croisement des enjeux institutionnels, économiques et géopolitiques. Mon parcours au sein de Meiji University renforce mes compétences en analyse stratégique, veille informationnelle et compréhension des dynamiques internationales, en cohérence avec un positionnement en intelligence économique". Je suis à la recherche d’un nouveau stage dans le domaine des relations internationales, de la diplomatie ou de l’analyse stratégique à mon retour.

L’artisanat de la feuille d’or à Kanazawa (金箔 – kinpaku)

À Kanazawa, l’artisanat de la feuille d’or (kinpaku) n’est pas seulement une tradition locale, mais une industrie majeure du patrimoine culturel japonais. Cette pratique, qui remonte à plus de 400 ans _ , consiste à marteler de l’or allié à de petites quantités d’argent ou de cuivre jusqu’à obtenir des feuilles d’une finesse extrême — parfois d’à peine 0,1 à 0,2 microns d’épaisseur, si fine qu’on peut voir à travers.
 
Aujourd’hui, Kanazawa produit plus de 99 % de toutes les feuilles d’or fabriquées au Japon, ce qui fait de la ville la capitale incontestée de ce savoir-faire. Ces feuilles d’or ne servent plus seulement à orner temples, sanctuaires et objets rituels : on les retrouve aussi dans des porcelaines, des objets décoratifs, des cosmétiques ou même des produits alimentaires, reflétant la capacité de ce secteur à mêler tradition, innovation et économie locale.
 
À Kanazawa, la feuille d’or ne se contente pas de recouvrir les objets : elle raconte une histoire. Celle d’un artisanat qui, depuis des siècles, transforme la matière brute en symbole de prestige, tout en s’adaptant aux exigences du monde contemporain.
 
Défis contemporains
L’artisanat des feuilles d’or fait face à des problématiques difficiles à éviter. Avec le vieillissement des artisans, le coût élevé de l’or, la standardisation et l’imitation industrielle ainsi que l’équilibre à garder entre tradition, rentabilité et tourisme de masse, les enjeux sont considérables.
 
« … gold leaf production in the city fell to 1.6 billion yen in fiscal 2022, some 10 pct of the fiscal 1990 level of 13.6 billion yen, reflecting a decline in the number of families with Buddhist altars in their homes _ . »
 
La baisse de la production est liée à la diminution du nombre de foyers japonais possédant un autel bouddhiste, ce qui réduit la demande traditionnelle.
 
Face aux défis contemporains, de nombreux efforts sont déployés pour assurer la pérennité de l’art de la feuille d’or à Kanazawa. Des ateliers ouvrent leurs portes au public, transformant la transmission du savoir-faire en expérience vivante, tandis que des formations cherchent à attirer une nouvelle génération d’artisans. Parallèlement, l’innovation joue un rôle clé : en diversifiant les usages de la feuille d’or — du design à la gastronomie —, les artisans parviennent à inscrire une tradition séculaire dans le monde contemporain, sans en altérer l’essence.